Évangile : Mt 28, 16-20
Un soir d’hiver, lors de la toute récente guerre de Tchétchénie, des soldats Russes, parce qu’ils manquaient de bois pour se chauffer et aussi parce qu’ils avaient épuisé toute leur réserve de vodka, entrèrent dans une église et la saccagèrent à grands cris. C’était une de ces petites églises orthodoxes comme il y en a tant en Russie, pleine de bougies, d’encens et d’icônes. Les soldats ressortirent de l’église les bras chargés de tout ce qu’ils avaient pu trouver en bois pour alimenter un feu qu’ils espéraient bien faire tenir toute la nuit. Au petit matin, un des soldats; pour raviver le feu, jeta un carré de bois bien sec à l’endroit où se trouvaient quelques tisons encore incandescents. Aussitôt le bois craqua et crépita sous la morsure du feu qui se réveilla. Pour faire durer la flamme, du bout du pied, il taquina le bois qui d’un coup se retourna. L’homme ne put rien faire alors sinon laisser couler ses larmes parce que là, sous ses yeux, disparaissait une représentation de l’icône de la Trinité de Roublev. En effet, le feu mangeait lentement l’icône et, en même temps, quelque chose d’indestructible brûlait là, sous ses yeux. Alors que l’icône se consumait, le soldat reçut dans son cœur une lumière et une blessure; l’icône, avant de disparaître comme une apparition, dans une ultime flamme, avait réveillé en lui la Foi de son enfance. Il sentit que la flamme, au lieu de s’éteindre, passait directement en lui.
Ce soir là, avant de s’endormir, il se surprit à réciter une prière venue du fond de son enfance, adressée à la Trinité, et il se rappela de ce jour où sa grand-mère Tatiana l’avait emmené à l’église de la Sainte Trinité de Zagorsk. C’était vers le soir et ils s’étaient attardés sur un banc de l’église quand soudain ils se sont retrouvés dans le noir de la nuit tombante. Un seul point de lumière: l’icône de la Trinité de Roublev qui flamboie, sans doute, jour et nuit dans cette église. Pendant qu’il la regardait, il entendit un bourdonnement, et ce bourdonnement devint murmure, et ce murmure devint un flux, une marée de voix basses masculines, accordées les unes aux autres: les moines venaient d’entrer au chœur pour la prière du soir. C’était un troupeau de voix graves, une armée d’hommes lourds qui venaient se rendre au pied de la Trinité pour recevoir d’Elle le baiser d’une lumière sur leur cœur et entrer ainsi dans la lumière d’un regard aimant. Quelque chose comme une extrême faiblesse l’envahit alors car on ne peut vraiment voir que là où il n’y a plus aucune ténèbre de puissance. Dieu sous les ornements de la foudre ou de la royauté, c’est insignifiant. Dieu sous un visage doux et humble, délicieusement humain, c’est grandiose. Pour beaucoup, la Trinité n’évoque autre chose qu’une lointaine abstraction. Et pourtant, il s’agit du cœur du christianisme, du contenu même de la Bonne Nouvelle. Nous voudrions voir la Trinité! Nous voudrions avoir d’elle une image sensible et fidèle. Nous voudrions pouvoir contempler de nos yeux l’aspect physique de la Trinité. L’icône de la Trinité de Roublev nous permet de deviner quelque chose de la Trinité, car l’icône c’est la Bible des pauvres; Dieu se fait à travers elle consolation pour les plus petits. Mais, au fait, qu’est-ce qui a tant bouleversé le cœur du soldat Russe au point de lui faire retrouver sa Foi d’enfance? Ce qu’il savait de Dieu n’était rien mais il était transporté. Travaillé par le souffle de l’Esprit, le feu avait allumé un visage dans le cœur du soldat et l’avait transfiguré. Cette conversion nous révèle quelque chose de bouleversant la lumière est au fond de nous, elle adore Dieu malgré nous. Elle attend que notre cœur s’ouvre pour y déverser tout ce qu’elle contient d’expression de Dieu.
Allons plus loin. Cette expérience du soldat Russe interroge: comment la Trinité se dit-elle ? Poser une telle question, c’est d’abord admettre qu’il y a un dire de Dieu avant qu’il n’y ait un dire sur Dieu, même si nulle parole ne peut vraiment dire ce que nul œil de créature n’a jamais vu. La Trinité s’est surtout dite corps et âme à travers Jésus. Ce mystère qui est resté caché depuis des siècles, le voilà dévoilé et débordant de partout grâce à l’Esprit Saint qui est répandu dans nos cœurs. Celui qui ose se laisser rejoindre là où jamais personne ne pourra le trouver, expérimentera qu’ils sont là, les Trois… le Père, le Fils et l’Esprit. Ensemble avec tout leur mystère. Oui, habité tu l’es. Si le Royaume c’est Jésus pauvre de tout ce qui n’est pas son Père; si le Royaume, c’est le Père gardant ses mains vides devant le Fils; si le Royaume, c’est l’Esprit t’offrant tout ce qu’ll reçoit d’eux, alors tel sera aussi le Royaume à l’intime de toi-même. Il te rend pauvre de tout ce qui n’est pas l’amour dont ils s’aiment, silencieux de tout ce qui n’est pas le chant qu’ils se chantent, aveugle de tout ce qui n’est pas le regard qu’ils s’échangent, dépouillé de tout ce qui n’est pas la gloire qu’ils se donnent, seul de tout ce qui n’est pas leur présence. Plus, tu t’enfonceras dans le mystère des Trois, plus te sera manifesté qui Ils sont et qui tu es. Tu deviendras ce que tu contemples.
Frères et sœurs, ne vous contentez pas des miettes! Si vous demandez Dieu, vous demandez tout. Vous pouvez tout demander puisqu’il se donne. Une nouvelle force vous est donnée. C’est le souffle de l’Esprit qui vous propulse, hors de vous-mêmes pour vous tourner vers ceux qui manquent de souffle. Un torrent de lumière monte de vos cœurs et entraîne vos corps à l’adoration de Dieu qui vit sa fête en vous. Il attend depuis si longtemps que vous lui abandonniez tout vos blessures, vos doutes, vos défaites, vos résistances, vos humiliations, vos impuissances. Vous deviendrez faibles comme lui et vous vous reposerez en Lui et la miséricorde coulera sans arrêt car son eau s’alimentera à vos misères. Quelle vie nous attend! Vous verrez que tout est renversé. Vous allez à Dieu, mais c’est Lui qui vous attend. Vous aimez Dieu, mais c’est Lui qui vous aime. Vous servez Dieu, mais c’est Lui qui vous sert. Vous vous offrez à Dieu, mais c’est Lui qui s’offre à vous. Vous appelez Dieu Père», mais c’est Lui qui vous appelle « Fils ».
Il vous fait passer de vous en Lui. Il est votre maison. Il est chez Lui chez vous. Vous renaissez en Lui. Vous faites œuvre d’amour en vous perdant en Lui. Il prend sa joie en vous. Sa lumière luit dans votre chair. La mort n’a pas le dernier mot. Vous êtes le dernier mot de Dieu. Il vous héberge dans sa vie.
Je vous en conjure, laissez enfin à Dieu la chance d’accomplir en vous ce qu’Il est !