Veillée Pascale 2024 : Homélie de Père Marie-Bruno

Évangile : Mc 16, 1-7

Vigile pascale

Au chapitre 43 de sa règle, qui traite des retardataires à l’office divin, catégorie de moines universellement représentées dans chacun de nos monastères, St Benoît écrit : “A l’heure de l’office divin, on se hâtera d’accourir // avec gravité néanmoins afin de ne pas donner aliment à la dissipation“. “Accourir avec gravité“. C’est bien ce que nous avons fait tout à l’heure dans notre procession à la suite du cierge pascal. Cette retenue peut étonner et on pourrait imaginer entrée en matière plus expansive pour fêter une si éclatante victoire. Un peu à l’image de ce qui se fait les soirs de matchs de foot ou d’élections (tout dépend dans quel camp on se trouve, évidemment !). Serions-nous donc si peu sûr de notre foi que nous n’osions manifester plus spectaculairement la victoire de la Vie sur la mort ?

Cette retenue est plutôt à mettre sur le compte du réalisme auquel nous confronte la Vie, œuvre de longue haleine. Tout dans la nature nous le dit. De la lente germination de la moindre graine végétale jusqu’à la gestation humaine. A ce titre là, la mort est plus rapide que la vie : il faut 9 mois pour faire un nouveau-né, il faut une fraction de seconde pour faire un mort… A une échelle plus grande encore, il a fallu des milliards d’années avant que n’apparaisse la vie humaine sur terre. L’ample liturgie de la Parole de cette vigile nous a rappelé le long préambule de l’Histoire à l’événement central qu’est la résurrection du Christ, vers laquelle tout était orientée dès l’origine.

La vie prend son temps… Parce que nous avons besoin de ce temps. Parce que ce temps n’est pas qu’un conditionnement biologique. Il est aussi le temps de notre liberté humaine. Et cette liberté, même la toute puissance transformante de la Résurrection la respecte. Le tombeau vide est le signe de l’infini respect que Dieu porte à notre liberté. Rien dans la Résurrection du Christ, pas même ses apparitions, ne vient nous forcer la main, violenter notre liberté. La joie qui est la nôtre en cette nuit de vrai bonheur, n’entame en rien notre lucidité. Demain, ou plutôt ce matin, nous ne nous réveillerons pas avec un mal de tête parce qu’une auréole nous aura poussé derrière la tête. La communauté d’Acey ne sera pas la communauté idéale et parfaite dont nous rêvons souvent éveillés… Notre famille, notre paroisse, notre entreprise, ne seront pas le 7e ciel, objet de nos désirs et de nos impatiences. Notre humanité ne sera pas le meilleur des mondes. Parce que la Vie véritable met du temps à reprendre ses droits et les hommes mettent du temps à sortir de leurs tombeaux. Un cantique du temps pascal chante : “Mais ce matin, alléluia, notre lumière a jailli du tombeau“. Certes… Mais il ne faut pas oublier que maintenant la Lumière est hors du tombeau, et que c’est nous qui sommes trop souvent à l’intérieur. Une brèche a été ouverte, un passage, une Pâques, par laquelle s’infiltre la Lumière qui nous vient du dehors. Et toute notre vie consiste à laisser cette brèche s’élargir jusqu’à béance, pour laisser entrer la Lumière jusqu’au tréfonds de notre être. Pour cela il faut que la pierre qui obstrue l’entrée soit roulée. Cette pierre qui n’est rien d’autre que toutes ces défenses que nous nous sommes construites pour ne pas laisser voir ce que nous cachons, parce que nous en avons honte : notre fragilité, nos faiblesses, notre dépouille mortelle. Long et coûteux labeur, qui nous retient de manifester en cette nuit une exubérance artificielle, passagère et illusoire. Mais nous invite à nous hâter d’accourir, avec gravité afin de ne pas donner aliment à la dissipation. Cettedissipation qui nous éloignerait de l’essentiel : le travail que l’Esprit réalise lentement en nous depuis que la nouvelle création a germée au jardin de Pâques.


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