Acey, jeudi 11 juillet 2019
Solennité de Saint Benoît 2019
Proverbes 2, 1-9 Colossiens 3, 12-17 Matthieu 19, 27-29 Homélie de P. Jean-Marc
Nous qui, à la suite de saint Benoît, avons choisi de répondre à l’appel du Seigneur dans la voie monastique, nous pourrions reprendre à notre compte cette parole de l’apôtre Pierre : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre : quelle sera donc notre part ? »
Mais avons-nous réellement tout quitté ?… Nous ne saurions l’affirmer avec autant d’assurance que Pierre !… Certes, nous avons été séduits par la beauté du visage du Christ, et son nom, qui est si souvent sur nos lèvres et dans notre cœur, rend ardente notre marche au rude chemin de l’Évangile !
C’est bien parce que Benoît, plus de 15 siècles avant nous fut lui-même un disciple exemplaire du Christ que nous prenons le relais pour aujourd’hui. Comme Benoît, ce chercheur de trésor qui à force de creuser a découvert la Sagesse qui vient de Dieu, nous nous sommes mis en route à notre tour pour suivre les « seuls sentiers qui mènent au bonheur. »
En ce domaine, nous ne prétendons pas avoir un quelconque monopole, ni la moindre supériorité par rapport à l’immense majorité de nos frères et sœurs qui vivent la vocation du mariage ou du célibat consacré selon d’autres traditions spirituelles. Simplement nous nous sentons appelés par l’Esprit à participer au même charisme que Benoît, notre Père en la vie monastique, lui qui a tout quitté pour se rendre au désert et chercher assidûment, mais aussi douloureusement, la face du Seigneur : « C’est ta face, Seigneur, que je cherche. Ne me cache pas ta face ! »
Benoît n’invente pas la vie monastique. Il se sait simple chaînon d’une déjà longue lignée qui a pour noms : Antoine, Pacôme, Basile, Cassien, Augustin… C’est auprès d’eux, en se nourrissant de leurs écrits et en s’engageant dans une expérience radicale de solitude et de silence pour ne vaquer qu’à Dieu seul, qu’il devint à son tour ce témoin privilégié dont sa règle n’a cessé de vivifier d’innombrables communautés monastiques.
Une règle à première vue bien déconcertante par son juridisme et qui, pourtant, porte en elle de tels trésors de sagesse évangélique qu’elle nourrit et inspire non seulement moines et moniales répandus à travers les cinq continents, et dans le pluralisme des cultures, mais encore – de manière plus surprenante – de nombreux laïcs qui, loin de jouer au moine, vont jusqu’au bout de leurs engagements humains et professionnels.
C’est en vivant la Règle de saint Benoît qu’on découvre sa richesse et son dynamisme spirituel. Elle n’est pas de ces méthodes ésotériques qui ont tant de succès aujourd’hui. Elle n’est rien d’autre qu’un condensé d’Evangile imprégné de la sagesse et de la saveur des Béatitudes. De ce fait, elle est chemin d’initiation à la conversion chrétienne, c’est-à-dire comme décentrement de soi afin de laisser le Christ vivre en nous.
Un jour, Benoît de Nursie – jeune étudiant monté à Rome pour se former et faire carrière – perçoit un irrésistible appel à tout quitter pour ne plus vivre que du Christ. Il s’enfonce dans la rude solitude de Subiaco. Et voilà que quelques décennies plus tard, rejoint par de nombreux compagnons qui veulent se mettre à son école, Benoît rédige sa Règle, « une petite règle pour débutants » selon ses propres termes, qui organise pour des cénobites les normes du service du Seigneur.
Un ermite légiférant pour des cénobites !… Benoît n’est ni le premier ni le dernier ! Au plus radical de son enfouissement solitaire au désert, il a, en fait, découvert que l’expérience de Dieu est autre que ce qu’il imaginait. Voilà sa conversion ! On retrouve ici la fameuse et douloureuse prise de conscience de saint Pacôme s’adressant au Seigneur : « C’est toi seul, Seigneur, que je veux chercher, et tu me dis de servir les hommes mes frères ! »
Benoît a certainement vécu une semblable conversion puisque toute sa règle ne nous apprend rien d’autre. Aimer Dieu et le chercher en donnant sa vie pour ses frères et en intercédant pour ce monde.
Il n’est pas d’autres vocation pour le moine, comme pour tout disciple du Christ, que la koinonia, c’est-à-direlacommunion d’esprit, de cœur et de corps avec nos frères. Ce que Saint Paul dans sa Lettre aux Colossiens exprimait de manière si forte : « Puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. Le Seigneur vous a pardonnés : faites de même. Par-dessus tout cela, ayez l’amour, qui est le lien le plus parfait. Et que, dans vos cœurs, règne la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés, vous qui formez un seul corps. Vivez dans l’action de grâce. »
Humble et persévérant service des frères par lequel on parvient à la communion avec le Seigneur. Disponibilité à l’Esprit qui ne cesse de façonner notre cœur pour l’ouvrir aux dimensions du monde.
Dans une scène mystérieuse relatée par Saint Grégoire le Grand, son biographe, Benoît voit l’immensité de l’univers comme en un point lumineux. Expérience mystique qui nous révèle que lorsque nous nous laissons saisir par l’Amour du Christ notre être tout entier se dilate alors aux dimensions du Cœur de Dieu pour devenir, comme l’exprimera Charles de Foucauld bien des siècles plus tard, « Frère universel ».
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