Homélie de la messe de minuit par Père Marie-Bruno
Messe du jour : Ouverture de l’année jubilaire et Homélie de Frère Bernard
Jour de Noël
* Isaïe 52, 7-10 * Hébreux 1, 1-6 * Jean 1, 1-18
Le monde va mal. Vous en convenez, n’est-ce pas ? Il faut sauver le monde. Le monde va mal parce que Dieu est malmené. Il faut aussi sauver Dieu, le protéger, prendre soin de Lui. Certes, nous célébrons solennellement la venue du Fils de Dieu dans le monde en ce jour de Noël, mais n’oublions jamais, et l’Evangile de ce jour l’atteste, « Il est venu chez les siens mais les siens ne l’ont pas reçu », et durant sa vie publique, Jésus affirma à plusieurs reprises que le Fils de l’Homme n’a pas d’endroit où reposer la tête.
L’étonnant et bouleversant mystère réside dans l’intime délibération de Dieu en présence des successives trahisons de l’homme, de ses refus, de ses révoltes. « Que ferai-je? Si j’envoie mon Fils lui-même, peut-être auront-ils pour Lui du respect ! » Et Dieu a fait confiance. Il a livré. Et la Miséricorde a visité la terre. Et pour toujours. Dieu livre ce fils dans la faiblesse, l’innocence, l’absence de défense, en le remettant entre les mains des hommes, comme preuve et signe qu’il aime véritablement ces hommes en qui, toute l’histoire passée le montre, on ne pouvait faire confiance.
Oui, Dieu a fait confiance. Il a livré. Pourquoi Dieu a-t-il tant aimé les hommes jusqu’à venir sur terre en un point infime de l’espace? Nous sommes là au bord du plus profond mystère de la liberté souveraine de Dieu qui s’exprime dans le choix de l’humanité, du risque, de la non-puissance, pour que l’homme ne puisse plus être condamné, même s’il rejette et condamne l’innocent. Souffrance infinie de Dieu qui deviendra visible dans la crucifixion, mais qui existe déjà à l’instant de Noël.
« Il est venu chez les siens, mais les siens ne l’ont pas reçu. » A peine né, il y eut un coup de froid sur l’Enfant et sur tous les enfants avec lui, comme en une nuit traitresse une gelée intempestive décime toutes les espérances qui donnait un verger ! Les soldats d’érode ont tué, à l’aveugle, alentour de Bethléem, pour n’atteindre que cet Enfant. De la crèche à la croix, Dieu est de tous les êtres le plus fragile, telle une alouette vive que l’on transperce, un papillon que l’on épingle pour qu’il n’applaudisse plus avec ses ailes. Le petit d’homme ne sait pas encore marcher et voilà que ces événements contraignent Marie et Joseph à fuir en Egypte ; l’Enfant vit à la dure, à la belle étoile… vraiment, Il n’a pas d’endroit où reposer la tête.
Dieu est dehors, tout le temps, par n’importe quel temps, même l’hiver et il s’endort dans la neige et la neige pour lui se fait douce, elle ne lui donne que sa blancheur avec quelques étoiles piquées dessus. Dieu n’a pas de maison, il n’en a pas besoin et d’ailleurs lorsqu’il voit une maison, il ouvre les portes, déchire les murs, brûle les fenêtres et c’est tout qui entre avec Lui, le jour, la nuit le feu de son amour, tout et dans n’importe quel ordre, et alors, et alors seulement, les maisons deviennent supportables, alors seulement on peut les habiter, puisqu’il y a tout dedans, le soleil, la lune, la vie très folle, la douceur très grande de la folie de Dieu. Et Dieu repart ailleurs, toujours ailleurs ; à force de traîner les chemins, de s’endormir partout, dans les sources, dans les fougères, dans le nid des mésanges ou dans les yeux des tout-petits, Dieu a une drôle d’allure, vraiment !
La pauvreté du Fils de l’Homme a quelque chose de pathétique : en Lui est tout l’Amour du monde, en Lui est la vie, en Lui est la réconciliation et la paix, mais tout cela Il ne peut le donner qu’à celui qui l’accueille librement, gratuitement, humblement. Le monde était son oeuvre, toute maison humaine aurait dû être son chez Lui, mais les siens ne l’ont pas reçu, dit Saint Jean.
Nous n’avons pas idée de l’immense solitude de Dieu. Il se tient à la porte de notre coeur et Il frappe discrètement en appelant dans la nuit de sa solitude : « Ouvre moi, ma soeur, mon amie, ma colombe, ma parfaite ! Ma tête est couverte de rosée, mes boucles, des gouttes de la nuit… » Vous avez remarqué, Dieu est un amant misérable à notre porte, qui attend dans la nuit froide. Il n’arrive point comme quelqu’un qui s’impose, mais qui implore ; non en maître et seigneur, mais Il vient à nous sous l’habit du pauvre et du plus pitoyable de tous. Et Il supplie, Il appelle à la compassion. Sa chevelure est trempée des gouttes de la nuit ; gouttes qui sont celles de la pluie, de la nuit, de la détresse et qui annoncent déjà ces gouttes de sueur et de sang qui perleront au front du Bien Aimé dans la nuit de Gethsémani, tandis que dorment justement ses amis. Dieu frappe constamment à notre porte, mais nous le traitons d’étranger et ne voyons pas qu’Il puisse avoir sa place parmi nous : « Va plus loin, va-t-en, qui te connaît ? Passe ! Tu n’es pas d’ici, cherche ailleurs ta place.
Dieu est un petit enfant qu’il faut sauver. La faiblesse de cet enfant est notre unique force. La folie de Dieu est plus sage que les hommes et la faiblesse de Dieu est plus forte que les Hommes. Nous pouvons voir ici toute l’absurdité, tout la folie de la Foi. C’est à nous que Dieu remet le plus précieux des fardeaux : son enfant. C’est à nous de la protéger, et c’est à nous de sauver ce sauveur ! « Prends l’enfant et sa mère »disait l’Ange à Joseph. C’est lorsque nous le portons que nous sommes portés par la main de Dieu, c’est lorsque nous devenons le protecteur de cet enfant que nous sommes véritablement protégés. Pour chacun de nous, il y a un chemin où Dieu nous appelle à marcher pour sauver son Fils, sans rien d’autre que ce petit enfant qu’Il nous donne, sans autre appui, sans autre raison d’être que son Fils unique, qui, pour toujours, a lié sa vie à la nôtre.
Que dire ? Ce que déjà disait Jean-Paul II : « Ouvrez toutes grandes les portes au Christ. Laissez le Christ parler à l’Homme. N’ayez pas peur ». Celui qui vient à vous est un prince désarmé, enveloppé de langes et drapé de tendresse. Il vient en enfant. Portez à bout de bras cet enfant de clarté et Lui vous portera pour que vos pieds ne heurtent les pierres du chemin, pour que vos fronts ne butent sur le mur de la haine. Allons-nous détourner notre face? C’est vrai, le regard du tout-petit est insoutenable ! Pourtant, quel autre regard pourrait se poser sur nous et nous envelopper sans risque de nous blesser ?