Homélie pour la Fête de la Transfiguration du Seigneur et en mémoire de la Pâque de Dom Godefroy

Le 6 août 2024 nous avons fait mémoire de la pâque de Dom Godefroy au cours de la messe de la Transfiguration du Seigneur, l’homélie était prêchée par notre Frère Bernard

Comment aborder le mystère de la Transfiguration sans tremblement ?

Un beau jour, Jésus emmène Pierre, Jacques et Jean à l’écart, sur une haute montagne. Il les prend comme cela. Qu’est-ce qu’Il lui prend tout à coup de les prendre ? Son idée et son mouvement qui sont toujours de monter. « Voici que nous montons à Jérusalem…Je monte vers mon Père et votre Père. » Laissons-nous emmener nous aussi. Laissons-nous dépayser par cette varappe vertigineuse de lumière, allons voir le pays qu’Il nous montre, torride et glacial la fois, aride et plantureux tout ensemble. Randonnons et faisons un détour pour aller voir.

Il les emmène donc ; il sait le temps qu’il faut. Fort de l’expérience de son propre pas et averti de ce qu’est le pas ordinaire de l’Homme lorsqu’il monte. Il prend le temps qu’il faut pour arriver au sommet. Il connait les ravins, les paliers, les arêtes. Il connait les passes et les impasses aussi, les sommets d’illusions où un autre à tenter autrefois de le conduire. Aussi peut-Il désormais montrer aux siens le Royaume véritable qu’Il est à lui tout seul. Ayant assuré les siens jusqu’au sommet ainsi qu’une cordée, Il résume soudain en lui-même tout ce qui se peut embrasser du regard. Le paysage s’identifie avec la lumière même qui le baigne ; la lumière à elle seule compose tout le paysage ; le vêtement se consume, si intense est le Vivant qui le porte.

On ne peut accepter humainement le récit de la Transfiguration du Christ sur la haute montagne qu’à cause du premier mot : Jésus les emmena et les fit monter avec Lui. Les trois qu’Il choisit, Pierre, Jacques et Jean n’ont formulé aucune demande pour avoir le droit de gravir avec lui le Mont de la Transfiguration. Le choix de Jésus correspond exactement aux besoins de la Révélation du salut. Jésus, qui marche maintenant vers sa Passion, doit d’abord être transfiguré afin que soit clairement révélé qui est vraiment celui qui va s’enfoncer pour tous dans les ténèbres et de quelle hauteur il provient pour descendre à une telle profondeur, dans un tel abime. Il doit avoir des témoins, et ce sont les trois mêmes qu’Il prendra plus tard au Mont des Oliviers, quand Il entrera dans le temps des ténèbres. Ils pourront alors, à la lumière de la Transfiguration, prendre la mesure de ce que signifie la peur de la mort éprouvée par le Fils de l’Homme.

Jésus doit avoir des témoins, même si ces témoins vont se mettre à divaguer au mont de la Transfiguration, même si ces témoins sont jetés à terre par l’éclat de la gloire du Christ et vont être terrassés par un sommeil irrésistible, la même frayeur qui les saisit plus tard sur le Mont de Oliviers. Malgré cela, et justement, de cette manière, ils témoignent du fait que la hauteur de la Transfiguration, comme la profondeur de la nuit du Mont des Oliviers, dépassent de loin tout ce dont un Homme peut témoigner. Ils sont cependant des témoins, même s’ils échouent. La seule chose qui importe, qui ait du poids et qui compte vraiment, c’est qu’ils en aient été les témoins oculaires. Ils étaient vraiment là, ils ont entendu, vu et touché le Verbe de Dieu. C’est de cela que Dieu a besoin. C’est de cela aussi dont les Hommes ont besoin.

Le témoin du Christ n’est pas celui qui s’est conduit correctement, courageusement ou merveilleusement bien. Le témoin du Christ n’est pas cette personne spirituellement cultivée, soignée, parfumée, affirmé, mais ce pauvre, qui ne possède absolument rien, parce qu’il a tout donné, et s’est surtout donné et abandonné lui-même une fois pour toutes au Christ, dans l’espérance que, s’il cherche Dieu, tout le reste lui sera
donné par surcroît.

Jésus a besoin de témoins pour l’Eglise et pour Lui-même. Il a besoin de ces gens qui sont devenus totalement indifférents à eux-mêmes parce qu’ils ont vu et entendu au Thabor et au Mont des Oliviers ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’Homme, c’est-à-dire ce qui se passe dans le cœur de Dieu et ce qu’Il a donné à voir, à entendre, et à sentir à ses élus. Ceux-là seuls peuvent avoir un effet sur les autres hommes comme témoins du Christ. Saint Paul était un de ceux-là car il ne vit pas pour lui-même, mais le Christ vit en lui. Si l’existence du chrétien ne témoigne pas de la vérité du Christianisme, à savoir que le Christ, à la fois Dieu et Homme, est mort et ressuscité pour nous pécheurs, à quoi bon alors des homélies, le catéchisme, et tous les livres de théologie? Le christianisme ne veut pas être vrai en soi, il veut l’être en nous. Nous-mêmes, dans notre vie, notre foi, notre espérance et notre amour, dans nos souffrances et nos victoires, nous devons être témoins, les témoins du Seigneur.

Ce n’est pas sans pertinence que j’ose dire que Dom Godefroy, notre Père Abbé, mort accidentellement il y a un an de cela, fut aussi un de ces témoins, de la même veine que saint Paul et tant d’autres. Voici ce qu’il écrivait quelques jours avant d’entrer au monastère d’Aiguebelle en 2001 : « l’espérance…je l’ai reçue comme un don inattendu ; c’était la fête de la Transfiguration, et sur cette montagne de l’espérance comme dit saint Bernard, j’ai compris que le désir qui m’habitait venait d’un Autre : c’est le Christ qui m’attirait…depuis longtemps. Soudain, cette vérité de foi, portée dans l’ombre, est devenue pleinement mienne : Jésus, le Fils unique du Père, a pris corps pour moi, et c’est la vie en plénitude qu’Il me propose. Vie dont la Transfiguration est le gage et la promesse. »

Oui, la Transfiguration interpelle, comme elle a interpelé Dom Godefroy. Elle peut gonfler nos poumons d’espérance avant chaque plongée dans les abîmes ténébreuses, y compris avant la dernière, celle de notre mort. La Transfiguration est un paroxysme d’espérance : il y a plus vivant que la vie, plus lumineux que la lumière, plus haut que le ciel. Les loques deviendront des vêtements blancs, les visages ingrats des faces resplendissantes. A l’horizon de nos destins, si souvent couverts de boue, s’élève pour chacun la cîme du Mont Thabor. Christ transfigure celui qui n’a plus de visage. Il porte l’espérance au-delà de l’inespéré, la foi plus loin que l’incroyable. Il fera crier le silence et sur la mort, Il a déjà jeté la vivacité du jour.

Oui, il y a un an de cela, Dom Godefroy s’entendit dire : Mon ami, approche et monte plus haut ». La miséricorde est venue le surprendre, en chemin, à l’été de sa vie. Oui, nous avons surpris notre frère en pleine gloire d’Assomption. Jésus l’a fait participer à sa gloire, non seulement en lui préparant une place mais en le faisant monter plus haut, au plus haut avec Lui, pour qu’il soit, lui aussi, là où Il est Lui-même.
Voici à présent notre frère près de nous, avec son habit de lumière et que dit-il?
Ecoutez :

« Frères, si j’ai occupé dans votre vie une place lumineuse, le sens de l’aventure est désormais De la remplir vous-mêmes. Soyez ce que en moi vous avez aimé. Vivez debout et habité. Vivez le souffle en feu, brûlé vif de tendresse. Vivez libre. Soyez des donneurs d’espérance, des passeurs de sève, des infuseurs de paix. J’aimerais tant que le souvenir que vous avez de moi fut tel qu’il s’y produit instantanément un effacement de moi, un vide de moi, et qu’en ma place, vous vous souveniez de Dieu ; et que Dieu même vous vient en mémoire. Oui, souvenez vous des merveilles que le Seigneur à fait pour moi. Je voudrais que mon coeur se déroule devant vous comme un parchemin. Oh, si vous pouviez y lire ce que le doigt de Dieu a daigné y écrire d’amour pour vous ! Et maintenant, je suis près de vous en esprit bien qu’absent de corps. Mon temps parmi vous a pris fin. Si ma voix s’éteint dans vos oreilles, alors je reviendrai. Certains d’entre vous m’ont jugé distant et ivre de ma propre solitude et d’autres m’ont dit amoureux des hauteurs inaccessibles : pourquoi demeurez vous parmi les sommets où les aigles construisent leurs nids et pourquoi recherchez vous l’inabordable? Souvent, j’ai mis le doigt dans mes propres blessures pour avoir une plus grande connaissance de vous? Vos battements de cœur étaient dans mon cœur et votre souffle était sur mon visage et je vous connaissais ?

Oui, je connaissais vos joies et vos peines. Si dans le crépuscule du souvenir nous nous rencontrons à nouveau, nous nous entretiendrons ensemble et vous me chanterez un chant, et si nos mains se rencontrent en un autre rêve, nous construirons ensemble la cité de la joie et de l’amour. Je voudrais que vous vous souveniez de moi comme d’un commencement ?
Bref ont été mes jours parmi vous et plus brèves encore les paroles que j’ai prononcées? Mais si ma voix s’éteint dans vos oreilles et si mon amour s’efface dans votre souvenir, alors je viendrai à nouveau, et avec un coeur plus riche et des lèvres plus soumises à l’Esprit, je parlerai. Et même si la mort me cache et le plus grand silence m’enrobe, je chercherai à nouveau votre compréhension. Je pars dans le vent de l’Esprit mais pas dans le vide. Sachez que du plus grand silence je reviendrai. C’est en le contemplant, Lui, que je vous ai contemplés et que je vous ai aimés. Tel un chêne géant couvert de fleurs est l’Homme vaste en vous ; sa force vous attache à la terre, son parfum vous élève dans l’espace. Quand vous aurez atteint le sommet de la montagne, alors vous commencerez enfin à monter ; n’oubliez pas que je reviendrai vers vous.

On voudrait recueillir ces paroles avec des gestes lents dans un tablier de toile, ou une corbeille d’osier. Les déposer en bouquets, égrener son parfum et en tenir quelques heures la beauté contre soi et se réconcilier avec la mort.
Oh, frères et soeurs, supportez moi encore un peu, juste le temps de la respiration d’une rose. Je le vie en songe descendre les marches de la montagne et sa hâte fut moindre que celle du vent. Il allait à pas de funambule. Il s’accrochait parfois à un brin d’herbe pour ne pas glisser dans un abime?. Oui, il s’y accrochait et miraculeusement il tenait. La Dent de Brenlaire que Dom Godefroy gravit fut à la fois son Mont Thabor, son Mont des Oliviers, son tremplin vers l’Eternité.

Dom Godefroy a contribué à transfigurer ceux et celles qu’il approchait. Il a aidé Dieu à remodeler son propre visage en chacun. Ne nous parle-t-il pas de notre espérance qui peut transfigurer le chemin de notre vie ? Oui, de notre visage constamment lavé par l’abondance de la miséricorde pouvait naître une étonnante lumière. Tu es lumière et tu retourneras à la lumière.


Publié le

dans

,