Première lecture : Ex 16, 2-4.12-15 Deuxième lecture : Ep 4, 17.20-24 Évangile : Jn 6, 24-35
J’aimerais revenir sur notre première lecture qui relatait l’étonnant épisode où le peuple hébreu, en plein désert et tenaillé par la faim, avait obtenu de Dieu cette mystérieuse nourriture tombée du ciel, semblable à une fine couche de givre.
Moïse pourra bien affirmer : « C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. », ce pain ne ressemble en rien à ce que les hébreux ont pu connaître jusqu’ici ? En tout cas, il n’a rien de commun avec le pain et les marmites de viande qu’ils mangeaient en Égypte. Ce qui suscite alors de leur part ce fameux “Mann hou ?” (c’est-à-dire : “Qu’est-ce que c’est ?”). Une question qui reflète non seulement toute la perplexité de ceux qui sont confrontés à l’inconnu, mais surtout la déception et l’amertume de ceux qui se sentent frustrés dans leurs désirs les plus fondamentaux.
Il ne faudra d’ailleurs pas longtemps pour que le peuple ait la nausée de cette manne devenue désormais son unique aliment quotidien. C’est ainsi qu’on peut lire au chapitre 11 du Livre des Nombres : « Maintenant, nous dépérissons, privés de tout ; nos yeux ne voient plus que de la manne. Ah, quand on pense au poisson que nous ne mangions pour rien en Égypte, aux concombres, aux melons, aux laitues, aux oignons et à l’ail ! » À croire qu’ils menaient en Égypte la vie de château ! …
Voilà bien la manière dont l’humanité fonctionne ! Soumis à l’enfer de l’esclavage les hébreux ne rêvent que de liberté. Mais une fois leur liberté chèrement acquise, ils n’ont plus aucun souvenir de ce qu’ils subissaient. Ils en viennent même à imaginer avec nostalgie leur existence passée comme une vie idyllique qu’ils n’ont en fait jamais connue : « Ah les marmites de viande et le pain à satiété. »
Récriminations et murmures. Au long des quarante années que durera l’exode du peuple de Dieu dans le désert, il en sera toujours ainsi. Malgré les multiples preuves de fidélité et de miséricorde que le Seigneur leur donne, les israélites ne cesseront pas d’oublier ses bienfaits et de le mettre à l’épreuve.
Mais nous serions bien mal venus de leur jeter la pierre. Un des grands problèmes de notre existence, et l’obstacle majeur pour notre vie chrétienne, c’est la maladie de la récrimination. Toujours trop de ceci, pas assez de cela. Bref on n’est content de rien. On râle ! Cette maladie qui nous fait voir tout ce qui ne va pas, nous pousse à nous plaindre du verre à moitié vide, sans remarquer qu’il est à moitié plein. Autrement dit elle traduit un malaise profond, un malaise qui prend racine au plus intime de nous. Ce ne sont pas les événements, les choses, les personnes qui ne vont pas. C’est nous-mêmes. Nos impatiences, nos mauvaises humeurs et nos critiques sont le signe de cette maladie de l’âme qui, comme la poussière dans l’oeil, nous empêche de voir la splendeur du monde, la beauté de nos frères et sœurs, la miséricorde infinie de Dieu.
Quant à l’Eucharistie, “le Repas du Seigneur”, ne provoque-t-elle pas aussi de notre part cette même interrogation : “Mann hou ?” “Qu’est-ce que c’est ?” alors qu’elle est souvent prise à la légère par nombre de chrétiens qui n’y comprennent pas grand-chose, s’y ennuient et n’en retirent aucun avantage…
Et la prière ! “Mann hou ?” “Qu’est-ce que c’est ?” On a beau prier, rien ne change, on tourne en rond. Alors à quoi bon ! …
Quant à l’Église, n’en parlons pas ! “Mann hou ?” “Qu’est-ce que c’est ?” L’Eglise, tellement décevante, scandaleuse par ces silences… ou ses prises de position, et ses scandales à répétition qui ne cessent d’éclater au grand jour. L’Église, tellement médiocre… ou trop exigeante, en tout cas si déconcertante. Toujours en retard d’un train, disent les uns. Toujours à la recherche de nouveautés, disent les autres.
Le murmure a sa source dans l’oubli. Un oubli qui provoque impatience et mauvaise humeur, et nous pousse au découragement. Mais surtout nous fait perdre de vue le sens de notre existence, l’intention créatrice de Dieu et nous fait tomber alors dans l’aveuglement et la surdité.
C’est ici qu’il nous faut entendre les paroles de Jésus dans l’Evangile de ce jour : Vous travaillez pour les nourritures indispensables à votre existence mortelle. Fort bien ! Mais ne travaillez pas seulement pour ces nourritures-là : « Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle. » Car à quoi bon gagner le monde entier si c’est pour se perdre ?
« L ‘œuvre de Dieu, c’est vous que vous croyez en celui qu’il a envoyé. »
En tant que baptisés, disciples du Christ Jésus, nous sommes appelés à croire, non à de belles et généreuses idées, mais à Lui donner notre confiance, à lui remettre toute notre vie. Oui, adhérer, communier et ne faire qu’UN avec lui. Jésus, Lui la vraie, la seule nourriture qui peut combler notre désir le plus profond et nous établir dans une paix que rien ne pourra ébranler.
Pour bien nous le faire percevoir, il se donne à nous sous les espèces du pain et du vin. Car Jésus doit pénétrer jusqu’au plus intime de notre être, jusque dans notre existence la plus charnelle : « Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim, celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. »
Alors, comme nous y exhortait saint Paul dans la seconde lecture, ne nous conduisons plus comme ceux qui se laissent guider par le néant de leurs pensées. Laissons-nous plutôt guider intérieurement par l’Esprit de Jésus. Cet Esprit qui nous apprend jour après jour à devenir des hommes et des femmes de bénédiction pour laisser sourdre de nos cœurs cette bienveillance qui aime la vie et qui réconcilie les êtres entre eux !