Homélie pour le 6e dimanche de Pâques année B par Frère Bernard

Évangile : Jn 15, 9-17

C’est au cœur même de toutes les contradictions du monde actuel, au cœur des contradictions de chacun de nous, que Jésus, aujourd’hui, nous dit : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Une telle parole nous prend tous à la gorge. En donnant ce commandement, le Seigneur offre à chacun son propre amour pour qu’il puisse aimer ses frères, ses sœurs, sans limite; d’autre part, Il ac- corde à chacun son Amour infini pour que nous sachions aimer sans limite à notre tour.

Connu ou non, l’Amour de Dieu est là, auprès de chacun. Il est tellement lié à l’Homme qu’Il demeure en lui, même à son insu. Il est là comme un feu dévorant au cœur de l’Homme. Là est le sens de la vie de chacun être aimé pour toujours, pour qu’à notre tour, chacun aille jusqu’à mourir d’amour. Sans l’amour, à quoi bon exister? Rien n’est grave, si ce n’est de ne plus aimer. Mourir d’amour, chaque chrétien est appelé à cela. Mais où puiser les énergies d’amour pour oser prendre un tel risque jusqu’au dernier souffle? La prière, certes, est une source pour aimer. D’autre part, chaque jour, scrutons quelques Paroles des Écritures pour être placé face à un autre que nous-mêmes: le Ressuscité. Laissons, dans le silence, naître en nous une parole vivante du Christ pour la mettre en pratique. Dans les moments de ferveur ne nous arrive-t-il pas de dire au Seigneur, à la suite de l’Épouse du Cantique des Cantiques: Courons, entraîne-moi sur tes pas». Certes, le Seigneur nous entraîne toujours à glorifier le Père, sinon à aimer tout simplement son frère, à l’aimer jusqu’au bout. Oui, le Seigneur nous entraîne à sa suite et Il veut que nous ne perdions aucun de ceux que le Père nous confie. Nous sommes invités à vivre chaque relation dans un amour total, avec l’amour même de Dieu. Cela est en notre pouvoir puisque « tout ce qui est au Seigneur est à nous et tout ce qui est à nous, est au Seigneur ». Ainsi, Il a le droit de disposer pleinement de nous, de nous confier les frères qu’Il veut, pour que nous les aimions jusqu’au bout, avec son propre amour. Pourtant, bien souvent, notre attitude est celle-là même des vignerons homicides. En effet, quand le Seigneur nous confie un frère pour que nous l’aimions, alors, il nous arrive de renvoyer ce frère les mains vides après l’avoir battu et blessé. « Père, je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés ». Sans cesse, un frère, une sœur, viennent quêter à la porte de notre cœur un geste, un regard, une parole d’amour. Certes, si nous n’avons ni or, ni argent, ni rien par notre propre force, tournons-nous vers le Seigneur pour qu’Il nous donne quelques miettes qui tombent de sa table, non pas pour nous, mais pour nourrir et rassasier ceux et celles qu’ll nous confie afin qu’ils ne retournent pas les mains vides. L’Esprit du Seigneur nous pousse toujours à réaliser dans le concret le « comme tu nous as aimés ; cela se fait toujours dans les petites choses, dans le quotidien, tel qu’il se présente à nous. « Ne perdre aucun de ceux que le Seigneur nous confie » c’est, en fait, aimer en vérité, donner sa vie pour ses frères, être fraction de pain. Comment cela ? Eh bien, si par exemple un frère, une sœur se présente à nous, surtout dans nos pensées, notre imagination et suscite en nous des passions comme la jalousie, l’impureté, la rancune, l’agressivité, pourquoi alors ne ferions-nous pas silence à ces tendances, en offrant, justement, cet effort de maîtrise

de soi pour le frère ou la sœur qui éveillent en nous ces passions, afin que le Seigneur, par nous, les comble de sa grâce. Casser son moi égoïste en deux, n’est-ce pas être fraction de pain et nourriture pour ses frères ? Le silence intérieur, le silence de certaines âmes sont comme d’immenses lieux d’asile. Des frères, à bout de forces, y entrent à tâtons, s’y endorment et repartent consolés, sans même garder aucun sou- venir du lieu où ils vont déposé un moment leur fardeau.

Sais-tu que tu as la capacité de porter sur tes frères le même regard que le Christ porte sur toi parce que la sève du Ressuscité irrigue ton cœur ? Heureux ce- lui qui laisse entrer en lui le regard de Jésus. Il devient lui-même une source de lumière. Ses mains peuvent toucher les âmes et jamais n’abîment ce qu’elles touchent. Rendues rugueuses par les souffrances, elles savent caresser avec douceur. Tu peux donner à celui que tu décides d’abriter en toi, au plus intime de ton être, la même tendresse que le Christ te témoigne. De ton visage constamment lavé par l’abondance de la miséricorde peut naître l’espoir du monde. Laisse la sève du Ressuscité achever en toi ce qu’elle a commencé. Pour terminer, écoutez ce bouleversant témoignage:

Un prêtre du nom de Kozlov relate dans son livre « Poussière sur la route » une rencontre qu’il a eue en prison avec un chrétien. Celui-ci lui fit le récit suivant : « un jour, lorsque je rentrais à la maison, j’entendis un cri. Je trouvai ma femme morte, poignardée au cœur par un voisin. Le meurtrier tomba à mes pieds, implorant le pardon. Je lui dis: va et ne recommence jamais ». Ensuite, je me rendis à la police et me déclarais coupable du crime. Je fus condamné. A la prison de Krasnoiarsk où je purgeais ma peine, un prisonnier en tua un autre. Je me chargeais de ce meurtre également. Maintenant, je suis condamné à vie. Je ne pouvais faire autrement. J’aime Dieu. Ma seule prière est de lui dire « je suis à toi, tu es à moi, aie pitié de moi. » Si tu n’avais pas été un prêtre, je ne t’aurais pas raconté mon histoire; tu m’as demandé pourquoi j’étais en prison, je te devais la vérité. »

Ce prêtre était présent quand ce prisonnier est mort; c’était comme si le ciel s’était ouvert. Ses dernières paroles furent « Seigneur, j’aimerais encore souffrir pour les autres mais que ta volonté soit faite. Nous voilà stupéfaits devant une telle vocation! En clair, cet homme a pris l’Évangile à la lettre: « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.

Il est mort d’amour. Mourir d’amour, c’est bouleverser de bonheur tous ceux qui m’entourent, c’est accorder au cœur la permission de respirer en lui permet- tant de donner libre cours à ses déroutantes initiatives, c’est amener au jour le meilleur qui sommeille en moi et qui dort chez autrui. Mourir d’amour est non un sacrifice mais un élan de créativité et une incessante célébration. Mourir d’amour est non un commandement de Dieu, mais un mouvement spontané qui n’exige aucun re- tour. Aimer c’est fleur, feu, flamme, printemps en herbe, musique et joie, grand art. Superbe.


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