Acey, 1er janvier 2020
Solennité de Marie, Mère de Dieu
Nombres 6, 22-27 Galates 4, 4-7 Luc 2, 16-21 Homélie de P. Jean-Marc
« Dessine-moi ton Dieu ! »
Voilà ce qu’un psychologue américain, lors d’une grande enquête, demanda à des milliers d’enfants du monde entier et de toute religion.
Vanessa, 7 ans, protestante allemande, commentait ainsi son dessin : « Dieu a d’énormes oreilles pour entendre les enfants pleurer et ce que disent les gens. » Par contre, Gil, juif israélien de 9 ans disait : « Ce n’est pas permis dans ma religion de représenter Dieu. Alors, j’ai dessiné une chaise en or au milieu du ciel sur laquelle il s’assoit. Il voit, mais il n’est pas vu. »
Gil était vraiment accordé à sa propre tradition religieuse puisque le judaïsme (comme plus tard l’Islam), en affirmant l’impossibilité de voir Dieu, en interdit toute représentation. Pensons ici au fameux passage du Livre de l’Exode où suite à la demande de Moïse de voir sa gloire, Dieu lui répond : « Tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne saurait me voir et vivre. […] Tu me verras de dos, mais ma face on ne peut la voir. » (Ex. 33, 20)
Et cependant, dans ce même chapitre 33 de l’Exode, il nous est dit que Dieu s’entretenait « face à face avec Moïse, comme un ami parle avec son ami. » Merveilleuse expression, mais qui n’était qu’une manière imagée d’évoquer une relation d’intimité de l’homme avec son Dieu, et non pas la pleine vision.
A la fin du 6ème siècle, St Jean Damascène, courageux défenseur du culte des “saintes Images” (icônes), alors que le pouvoir impérial persécutait quiconque les réalisait ou en possédait, écrira : « C’est évident, tu ne dois pas fabriquer d’image de ce qui est invisible, mais lorsque tu verras l’Incorporel fait homme à cause de toi, alors tu sculpteras cette forme humaine. Lorsque deviendra visible en chair celui qui était invisible, alors tu fabriqueras une image à la ressemblance de celui que tu as vu. »
Par la naissance de Jésus à Bethléem, Dieu-l’Invisible se rend visible, Dieu-l’Incorporel prend un corps semblable au nôtre. Est ainsi rendu possible l’exaucement de cet intense désir qui traverse toute la Bible. « C’est ta face, Seigneur, que je cherche. Ne me cache pas ta face ! » (Ps. 26, 9)
En Jésus, dont l’humanité a été façonnée dans le sein de Marie, nous pouvons désormais contempler le Visage où brille la lumière de l’éternelle beauté de Dieu. L’Apôtre St Jean affirmera: « Dieu, personne ne l’a jamais vu, mais le Fils unique qui est dans le sein du Père, c’est lui qui nous l’a dévoilé. » (Jn 1, 18)
Bienheureux sommes-nous, Frères et Sœurs ! Nous voici les bénéficiaires d’une Grâce étonnante, bouleversante, dont nous n’aurons jamais fini de prendre conscience et qui a de quoi nous faire jubiler tous les jours de notre vie !
Aujourd’hui, Dieu ne penche pas seulement son visage vers nous, comme l’exprimait l’antique formule de bénédiction de Moïse. Il l’inscrit au plus profond de nos existences pour illuminer chacune des étapes de notre cheminement. Et désormais son visage se révèle aussi en toute personne que nous rencontrons puisque nul n’est exclu de la miséricorde du Seigneur.
*
Dieu notre Père, nous cherchions ta face comme des aveugles en quête de lumière, comme des miséreux assoiffés de beauté. Et voici que tu as répondu à notre attente infiniment au-delà de ce que nous pouvions imaginer ou même désirer. En Jésus ton Enfant, devenu l’un de nous par la maternité virginale de Marie, tu nous as donné ton Verbe, ton Unique, le plus beau des enfants des hommes, comme Frère et Seigneur pour sauver notre monde défiguré par le péché, et le transfigurer par la puissance de votre Esprit Saint.
Sur son visage de lumière nous voyons Ta lumière. Béni sois-tu !
* * *
Abbaye N-D d’Acey – Dimanche 5 janvier 2020
Homélie pour l’Épiphanie du Seigneur 2020
Isaïe 60, 1-6 Ephésiens 3, 2-3a.5-6 Matthieu 2, 1-12 Homélie de P. Jean-Marc
Noël !… Un événement qui peut sembler bien insignifiant au regard du monde contemporain et de ses problèmes politiques, économiques et sociaux ! Et pourtant ce qui aurait pu n’être qu’un simple fait divers est devenu pour nous, chrétiens, l’événement central de l’histoire de l’humanité. En cette naissance de Jésus à Bethléem, nous reconnaissons l’Épiphanie de Dieu, c’est‑à‑dire la manifestation du Dieu de gloire ! Il faut quand même avoir du “souffle” pour affirmer cela !…
Oui, il faut du souffle ! Et l’expression convient tout à fait, car c’est grâce au souffle de l’Esprit Saint que nous pouvons célébrer Noël comme l’Épiphanie, la manifestation de Dieu au cœur de nos réalités humaines. C’est grâce au souffle de l’Esprit Saint que nous osons proclamer, dans la foi, que l’Enfant né de Marie est le Verbe, la Parole créatrice de Dieu, et que cet Enfant est Lumière et Gloire pour l’univers entier.
J’espère qu’aujourd’hui vous n’avez pas oublié de placer les mages dans la crèche !… On ne peut se passer de leur compagnie ! Il peut bien y avoir tous les personnages possibles et imaginables, tant qu’il manquera les mages, la crèche ne sera pas vraiment ce qu’elle doit être. Il lui manquera quelque chose qui est essentiel à l’Evangile.
Car si les bergers représentent la foule des petits et des pauvres à qui Dieu accorde en priorité son amour, les mages eux figurent ceux qui, par rapport à la foi, sont des étrangers, tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, n’ont jamais entendu l’Evangile et qui, cependant, sont concernés eux aussi par la venue de Dieu en Jésus Christ et par son Salut.
Les mages nous empêchent de “récupérer” Noël à notre profit, d’enfermer cet événement dans les limites trop étroites de nos représentations mentales et de nos pratiques religieuses. Ils sont là pour nous rappeler que la naissance de Jésus à Bethléem a une portée universelle, pour tous les peuples, pour toutes les générations, toutes les cultures, tous les siècles.
En d’autres termes, cela veut dire qu’à partir du moment où des mages viennent se prosterner devant l’Enfant né de Marie, cet Enfant n’appartient plus à sa famille, à son village. Il n’appartient pas même à son peuple, le peuple des promesses. J’irai jusqu’à dire qu’il dépasse les limites de l’Église institution. Il est là pour toute l’humanité ! Désormais, nul ne peut s’approprier le don de Dieu, ni se prétendre l’unique bénéficiaire de la grâce du Seigneur ou de son Salut.
Ainsi la présence des mages offrant leurs présents à l’Enfant de Bethléem illustre de manière imagée, mais très suggestive, ce dont St Paul nous parlait dans la 2ème lecture avec son langage de théologien : « Ce que Dieu m’a fait connaître pour vous : c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile. » (Eph 3, 6) Immense exigence d’ouverture à l’universalité sur laquelle a achoppé le peuple juif !
Dans sa grande majorité celui-ci (« à qui appartient l’adoption, les alliances, la Loi, le culte, les promesses de Dieu, les patriarches… » Rm 9, 4) n’a malheureusement pas compris que sa grandeur et sa dignité de peuple élu par Dieu ne lui ont pas été données pour qu’il se les approprie et s’en glorifie aux dépens des autres, mais pour qu’il en fasse bénéficier toute l’humanité. Mais ne jetons pas la pierre à nos frères juifs ! L’Église, bien que s’affirmant catholique (c’est-à-dire universelle), ne peut guère donner de leçon aux autres en ce domaine. Elle est née, non pour prendre la place du peuple de la 1ère Alliance (« la fidélité et les dons de Dieu sont sans repentance »), mais afin de poursuivre la même mission : être témoin et servante de la grâce de Dieu, pour tous les hommes. Voilà ce qui constitue, pour nous chrétiens, notre grandeur mais aussi notre responsabilité.
Nous qui confessons Jésus comme le Fils du Père et la Lumière du Monde, nous qui sommes son Corps nourri du pain de sa Parole et de son Eucharistie, nous qui sommes habités par l’Esprit Saint, ouvrons toutes grandes nos portes à son amour afin que sa Lumière brille en nos vies. Nous pourrons alors nous-mêmes devenir des “épiphanies” de Dieu au cœur d’un monde de tristesse et de désespérance qui, sans en avoir conscience, est pourtant pas affamé de justice, de vérité et de Paix.
* * *