Abbaye d’Acey, dimanche 29 décembre 2018
Messe de la Sainte Famille 2018 — Année C
I Samuel 1, 20-22.24-28 I Jean 3, 1-2.21-24 Luc 2, 41-52 Homélie de P. Jean-Marc
La Sainte-Famille !… Sainte, elle l’est assurément ! Ainsi Marie, selon ce que l’Eglise inscrira dans ses dogmes, a été préservée de toute atteinte du péché. Et Jésus, son enfant, conçu non d’un vouloir humain mais de la seule volonté de Dieu, tout en assumant totalement notre condition humaine, est lui-même, pour reprendre les mots de notre foi : « Dieu né de Dieu, Lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu. » Quant à Joseph, même s’il est bien de la même étoffe que nous, hommes et femmes sous l’influence du péché, il nous est difficile de le situer au même niveau que nous, lui dont l’Ecriture nous affirme qu’il était « un homme juste », c’est-à-dire parfaitement ajusté, disponible, à la volonté de Dieu. Ce que, sauf aveuglement de notre part, aucun d’entre nous ne peut prétendre.
Comment alors peut-on nous proposer cette sainte Famille comme modèle alors qu’elle est parfaitement inimitable ?…
A bien y réfléchir, si cette Famille est unique de par sa composition et sa vocation, elle n’a cependant pas vécu sur une autre planète que nous. La sainteté de Jésus, de Marie et de Joseph ne les a en rien préservé des incertitudes et des épreuves de l’existence que toutes nos familles et nos communautés connaissent. Je dirai même, bien au contraire !… Car plus on avance dans les voies de la sainteté, plus on devient vulnérable à tout ce qui advient – en bien ou en mal – et donc plus on souffre des désordres du monde et des ravages du mal dans la société et dans la vie des personnes.
C’est ainsi que Marie, au moment où elle entre dans le Temple pour présenter son nouveau-né à Dieu, selon les prescritions de la Loi, entend le vieillard Syméon lui dire que son enfant sera signe de contradiction en Israël (et nous savons que cela le conduisit jusqu’à la mort sur la croix), et qu’elle-même aura son âme traversée d’un glaive. Joseph, pour sa part, n’aura pas une destinée plus préservée puisque, confronté à un mystère totalement déconcertant, il lui fallut renoncer à tous ses projets pour prendre Marie pour épouse et assumer la paternité de Jésus. Une double mission qui ne fut sûrement pas de tout repos ! Il suffit de penser à sa situation de migrant avec la fuite en Egypte puis le retour en Galilée. Mais dans un contexte social et politique infiniment plus troublé et difficile que le nôtre, la sainteté vécue en famille par Marie, Joseph et Jésus fut celle d’un amour mutuel sans failles. Ce qui veut pas dire sans turbulences ni souffrances.
C’est bien à cette même sainteté que Dieu nous appelle aujourd’hui dans nos propres familles et nos communautés ! Et ce, d’autant plus, que dans le contexte actuel où la famille est victime de multiples forces de rupture et de désintégration, il paraît d’autant plus nécessaire et urgent de se référer à des modèles forts.
Nous savons tous par expérience, que ce soit dans la vie de couple, la vie familiale ou communautaire, combien il est difficile et éprouvant d’aimer en vérité ceux et celles avec qui nous vivons habituellement. Aimer en vérité, c’est-à-dire les accueillir tels qu’il sont avec leurs qualités, certes, mais aussi leurs limites et leurs failles, respecter leur sensibiliité et leurs choix, leur offrir un espace de liberté. N’avons-nous pas tendance, au contraire, à vouloir nous les approprier, à désirer qu’ils correspondent à nos manières de voir et à nos désirs ?
Comme il est difficile pour un père et une mère qui ont mis au monde un enfant, et qui l’investissent de toute la puissance d’un amour souvent possessif, de lui permettre d’accéder à une saine autonomie, indispensable pour sa vie d’adulte ! L’Évangile de ce jour nous en offre une bonne illustration avec le fameux épisode du jeune Jésus resté à Jérusalem à l’insu de ses parents. Ce n’est qu’après trois jours de recherche anxieuse que Marie et Joseph le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi. Et lorsque Marie exprimera douloureusement son incompréhension : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! » Elle s’entendra répondre : « Ne savez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père. »
Oui, la relation d’amour, affectueuse et dévouée, qui lie Marie et Joseph à Jésus, ne doit pas leur faire oublier que celui-ci ne leur appartient pas, et qu’avant même d’être leur enfant il est le Fils du Père céleste. Et c’est cette relation unique, privilégiée, qu’ils doivent non seulement respecter mais qu’ils doivent lui permettre – dans sa condition humaine – de développer. C’est là que la Sainte-Famille peut devenir pour nous une référence et un modèle.
Si les parents chrétiens ont la responsabilité, heureuse mais aussi inévitablement éprouvante, de permettre à leur enfant d’accéder à sa pleine humanité, il ne peuvent oublier qu’il ou elle est appelé à devenir fils ou fille de Dieu notre Père, comme Jésus et avec Jésus. L’apôtre Saint-Jean, dans la seconde lecture nous le rappelait avec force : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu. Mais (même si) ce que nous serons n’a pas encore été manifesté »
C’est notre identité d’enfants du Père qu’il nous faut donc cultiver et développer en nous et entre nous. Ce n’est d’ailleurs qu’ainsi que nous parviendrons à aimer en vérité et à y trouver notre joie. Car, comme ne cesse de nous le dire Saint Jean dans ses lettres, ce n’est qu’en demeurant avec Jésus dans l’Amour de Dieu, notre Père, unique Source de l’Amour, que nous pourrons nous-mêmes, quoi qu’il advienne, demeurer dans l’Amour et en vivre.
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Ô vous, Sainte Marie et Saint Joseph, qui avez eu la grâce d’accueillir au sein de votre couple Jésus le Sauveur du monde et qui, malgré les épreuves qu’une telle mission vous suscita, lui avez permis « de grandir en sagesse en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes », priez pour nous qui avons recours à vous. Et obtenez à nos familles et nos communautés les grâces de paix et d’unité dans l’amour dont nous avons un si urgent besoin. Amen !
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