Décès de notre Frère Emile

Les frères de l’Abbaye vous font part du décès de leur doyen

Frère ÉMILE
(Georges Trébillon)
survenu ce mercredi 22 novembre 2017,
dans la 96e année de son âge
la 62e de sa profession monastique.

Frère Emile est né le 24 octobre 1922 à Traves en Haute-Saône, village dans lequel il sera très investi (paroisse, conseil municipal) et auquel il restera très attaché. Il avait un frère Victor de 2 ans son ainé. De sa Haute-Saône natale il gardera jusqu’au bout un petit faible pour … la cancoillotte !

Après la 2e guerre mondiale il sera un temps engagé comme mécanicien dans l’armée de l’air. C’est pendant cette période que deux évènements le marqueront profondément. Un séjour à Paray-le-Monial où il découvrira la dévotion au Cœur de Jésus qui nourrira sa spiritualité et sa vie de prière. Et la lecture de « La nuit privée d’étoiles » du trappiste américain Thomas Merton qui sera l’élément déclencheur de sa vocation monastique.

C’est en 1953, année où nous célébrions le 8e centenaire de la mort de St Bernard, qu’il entre au noviciat des convers à Acey. Il fera profession temporaire en la solennité du Sacré-Cœur de Jésus de l’année 1956 et profession solennelle pour l’Assomption de Marie en 1959.

Il fut affecté à différents emplois et services, mais c’est surtout à la cuisine qu’il se dévoua au service de la communauté pendant 23 ans. Il fut aussi apiculteur, s’intéressant au monde passionnant des abeilles.

Il consacrait beaucoup de temps à la lecture, fréquentant avec assiduité notre bibliothèque.

D’un tempérament très réservé, il savait néanmoins nous réjouir de son sourire et de son rire d’enfant.

Veillée de prière en l’abbatiale d’Acey, jeudi 23 novembre 2017

Évocation de la vie de Frère Emile

Notre Fr Emile (Georges Trébillon, selon l’état civil) est né le mardi 24 octobre 1922 (c’était à l’époque, notera-t-il, la fête de l’Archange Raphaël). Son frère Victor, de 2 ans son aîné, et lui sont les deux enfants de Jules et Marthe, un couple de cultivateurs de Traves en Haute-Saône, village proche de l’Abbaye de Cherlieu qui fonda Acey. Notre frère sera très impliqué tant dans la vie paroissiale que communale de ce village auquel il restera toujours profondément attaché. Malgré ses fortes réticences il fut quasiment plébiscité pour être membre du conseil municipal.

Sous l’occupation, pour échapper au STO (le travail obligatoire en Allemagne), il devient réfractaire et se cache.

En juin 1940 (j’ai 18 ans), en groupe nous fuyons à vélo devant les Allemands. Un moment donné je vois un beau chapelet blanc en nacre sur la route. Je le ramasse et le récite devant le danger. Puis je me sépare du groupe. Dans un village je rencontre mon instituteur qui me ramène au pays en voiture tandis qu’une famille se propose de m’accueillir.

A la fin de la guerre il s’engage dans l’armée de l’air, à la fois par esprit de revanche et pour réaliser son rêve de devenir pilote. Mais faute de formation suffisante il doit choisir la filière de mécanicien.

En avril 45, il est cantonné à Paray-le-Monial. C’est là qu’il découvre la dévotion au Cœur sacré de Jésus qui nourrira profondément sa spiritualité et sa vie de prière. Mais il est encore loin de penser à la vie monastique.

À la fin du stage de formation dans l’armée de l’air nous sommes invités à signer un engagement de quatre ans. Je refuse, et là c’est le tournant de ma vie. Pourquoi je n’ai pas signé mon contrat avec l’armée malgré les exhortations d’un gradé ? Serait-ce sous l’inspiration du Sacré Cœur qui me guidait vers un avenir autre que j’ignorais ?…

C’est alors que la lecture de « La nuit privée d’étoiles » de Thomas Merton éveille en lui une attirance secrète pour la vocation monastique.

Un jour mon curé vient me voir et me dit d’écrire à une fille qu’il connaît. « Tu ne vas pas rester vieux garçon ? » – Alors je lui dis : « Non ! Je ne me marie pas, mais j’entre à la Trappe. » Il tombe des nues.

Apprenant la présence de moines à Acey, Georges écrit pour demander à passer quelques jours à l’Abbaye. C’est le Père Benjamin qui lui répond et qui l’accueillera pour ce premier séjour.

En l’Année Sainte 1950 (il a 28 ans), il achète une moto et se rend en pèlerinage à Lourdes puis à Ars.

À 31 ans il se décide enfin à entrer à Acey. Il quitte alors brusquement les siens car ils ne comprennent absolument pas sa démarche : Mon frère me demande si je n’ai pas perdu la tête. Mon père part en pleurant sans me dire au revoir.

Bien des années plus tard demandant à son père devenu vieux s’il était content qu’il soit religieux, celui-ci lui répondra : « Bien sûr ! Et j’en suis fier. Je rends grâce à Dieu. »

L’entrée à l’Abbaye a lieu le samedi 28 novembre 1953, veille de l’Avent, en l’année anniversaire de la mort de Saint-Bernard.

Le 4 décembre, premier vendredi du mois de l’Année mariale 1954, il revêt l’habit de convers et reçoit le nom de Frère Émile : Mon premier prénom de baptême était Georges, mais il y a déjà en communauté un Père Georges. Mon deuxième prénom était Joseph, mais il y en avait deux. C’est donc mon troisième prénom qui l’emporte.

Au cours  de son noviciat, il travaille à la buanderie et au vestiaire.

Deux ans plus tard, alors qu’approche le temps de la profession temporaire, il est tenté d’aller voir ailleurs : Je pense alors aux Petits Frères du Père de Foucauld. Mais le 8 juin 1956 c’est la fête du Sacré Cœur institué 100 ans auparavant par Pie IX. C’est un signe pour moi. Je prononce mes vœux simples en cette solennité du Sacré-Cœur de Jésus.

Sa profession solennelle est fixée pour le mois de juin 1959. Mais pour que son frère puisse venir il obtient qu’elle soit reportée au 15 août.

Par la suite, F. Emile va assumer divers emplois : cultures, poulailler, vacherie, porcherie. Mais c’est surtout à la cuisine qu’il se dévoue au service de la communauté : « À 40 ans, on me met à la cuisine. Je vais faire un mois de stage de formation à Riom, chez les maristes, puis 15 jours à Sept-Fons. Je resterai cuisinier 23 ans. »

Lorsque il en a la possibilité, il fait aussi de petits travaux à la menuiserie, à l’usine, et il redémarre le rucher.

Notre frère Emile n’était cependant pas qu’un manuel. Il consacrait beaucoup de temps à la lecture, fréquentant avec assiduité notre bibliothèque. Passionné d’histoire, il donnait néanmoins la priorité à tout ce qui pouvait nourrir sa vie monastique : ouvrages de spiritualité et même de théologie dont il recopia d’innombrables pages.

Homme de prière, il n’aimait rien tant que la solitude et le silence. À partir de 1968, il aménagera un ermitage pour prendre un jour de solitude chaque premier samedi du mois.

Notre frère était d’un tempérament très réservé. Mais sous des dehors un peu bourrus, se cachaient de grandes qualités de cœur et de charité fraternelle. Comme le note très justement sa notice nécrologique, il savait nous réjouir de son sourire et de son rire d’enfant.

Au terme de cette rétrospective, voici une prière de Ste Gertrude d’Helfta soigneusement recopiée par F. Emile et qu’il a certainement aimé faire sienne :

Mon très doux Jésus… donne-moi une existence qui réponde dignement au prix de ton Sang. Donne-moi un esprit qui te goûte, un cœur qui te sente, une âme qui comprenne ta volonté, une vertu qui accomplisse ton bon plaisir, la stabilité qui persévère avec Toi. Et de grâce, à l’heure de ma mort, ouvre-moi sans retard la porte de ton très doux Cœur afin que par Toi je mérite de pénétrer sans aucun obstacle dans la Chambre nuptiale de ton vivant amour où je jouirai de Toi et où je te posséderai, ô Toi la vraie joie de mon cœur. Amen.

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Abbaye d’Acey, vendredi 24 novembre 2017

Sépulture de Frère Emile (Georges Trébillon)

Romains 8, 18-23           Jean 6, 37-40                     Homélie de P. Jean-Marc

Notre frère Émile n’était certainement pas de ceux qui traînaient les pieds sur le chemin de la vie monastique.

Il avait fait siens les conseils de Saint Benoît qui, dans le Prologue de sa Règle exhorte le moine à tenir bon malgré les épreuves et le découragement car si les débuts sont forcément malaisés, à mesure qu’on progresse dans une sainte vie et dans la foi, le cœur se dilate, et c’est avec une indicible douceur d’amour que l’on court dans la voie des commandements de Dieu.

Oui, Fr. Émile a toujours eu à cœur de suivre, dans l’élan du don de soi, Celui qui, un jour de garnison à Paray-le-Monial, lui révéla l’intensité de son amour : Voici le Cœur qui a tant aimé les hommes. Révélation qui se grava de manière indélébile en lui et donna sens à tout son cheminement ultérieur.

Certes la course fut longue, très longue même pour notre frère : 95 années depuis sa naissance à Traves, et 64 années depuis son entrée à Acey à l’âge de 31 ans. Une course qui, ces dernières années, n’en avait plus guère l’apparence alors que notre frère connaissait, comme beaucoup de personnes de sa génération, avec, la lente et inexorable sape du temps et des infirmités, la progressive diminution de ses capacités physiques et psychiques. Situation que la poétesse Marie-Noëlle a décrite de manière poignante : « Un peu plus, chaque jour, il avait amassé dans sa mémoire toutes sortes de sciences. Elles se sont échappées de sa mémoire chaque jour un peu plus. Ses mains étaient devenues adroites, sa langue habile. Ses mains sont devenues maladroites, sa langue pauvre, embarrassée, chaque jour un peu plus. »

Ces toutes dernières années, la course de notre frère Emile ressemblait plus à un retour au pays de l’enfance qu’à une projection vers l’avenir. Mais, à la vérité, au plan spirituel, il en allait tout autrement. Car, aux antipodes des critères de rentabilité et d’efficacité de notre société, l’Évangile nous ramène toujours à la logique du Royaume de Dieu : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra. Celui qui la perdra la sauvera. » Et encore : Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul. S’il meurt il porte beaucoup de fruits. »

Alors que, pour la grande majorité de nos contemporains, la mort est le point final de l’existence, et donc est escamotée ou niée, pour nous, disciples du Christ Jésus, elle est certes une rupture – et une rupture douloureuse – mais qui nous introduit dans la vie, la Vie éternelle. C’est ainsi que saint Paul osait affirmer, dans la 1ère lecture, qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que Dieu va bientôt révéler en nous. Car ces souffrances sont celles, non d’un anéantissement, mais d’un enfantement. Douleurs de notre naissance au monde de Dieu. Et cela change radicalement toutes les perspectives.

Il ne s’agit donc pas de préserver à tout prix ce qui est éphémère, et donc ne peut qu’être soumis à une dégradation inévitable, mais il importe de se dessaisir de soi pour s’en remettre à Celui qui nous dit qu’il n’est pas descendu du ciel pour faire sa volonté mais pour faire la volonté de Celui qui l’a envoyé. « Car la volonté de mon Père c’est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle ; et moi je le ressusciterai au dernier jour. »

Merveilleux vouloir du Père et du Fils qui ne désirent rien tant que de tous nous introduire au cœur de leur communion dans l’Amour trinitaire. C’est dans cette perspective qu’il nous faut comprendre la prière du moine.

Fr. Émile avait ainsi pris bonne note des mots du Père Louis Bouyer : Si le moine sauvegarde jalousement les deux conditions initiales de sa vie de prière, la solitude et le silence, ce n’est pas de sa part un luxe égoïste. C’est une impérieuse nécessité qui lui incombe pour qu’il remplisse sa mission. La tâche dont il est responsable dans l’Église, c’est de prier, de prier sans cesse et du mieux possible.

Prier, oui, à temps et à contretemps, pour que, selon le désir le plus ardent de Jésus, le feu de l’Esprit Saint embrase le monde et qu’il brise nos cœurs durs et rebelles : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit allumé. » (Luc 12,49)

En célébrant en Église la Pâque de notre Fr. Emile c’est une confession de foi et d’espérance que nous accomplissons. Jésus, le Bien-aimé du Père, est vraiment notre résurrection : « Celui qui croit en moi, fût-il mort vivra. »

Lui “le Chemin, la Vérité et la Vie” nous conduit jusqu’en la maison du Père où “Il essuiera toute larme de nos yeux et où la mort n’existera plus. Il n’y aura plus de pleurs, de cris ni de tristesse. Car l’ancien monde aura disparu.” Célébrons donc la victoire du Christ Jésus notre bien-aimé Frère et Seigneur, vainqueur du péché et de la mort qui fait toutes choses nouvelles.

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