Vidéos de la veillée de prière et de la Pâque de Dom Godefroy

Veillée de prière – Abbaye d’Acey – Jeudi 10 août 2023
Une réalisation de Violaine FAVART

Pâque de Dom Godefroy – Abbaye d’Acey – Vendredi 11 août 2023
Une réalisation de Violaine FAVART

Témoignages à la Pâque de Dom Godefroy

Homélie de Dom Bernardus
Témoignage de Dom Mauro Giuseppe Lepori
Témoignage de Dom Marc de Pothuau
Témoignages de deux amis commandos marine

Témoignage de Dom Marc de Pothuau OCiste

Messe de funérailles

11 août 2023 ND d’Acey

Dom Godefroy Raguenet de Saint Albin
18.09.1970 – 03.08.2023

Chacun de vous, je pense, aimerait parler de Godefroy et aurait tant à dire qui nous serait bon d’entendre dans le désarroi de notre immense peine. Beaucoup s’en défendent pourtant par peur de pleurer. Tant pis, je m’y lance, d’autant plus que, justement, j’estime que mes larmes expliquent quelque chose de l’affection que frère Godefroy eut pour moi nous y viendrons.

Combien parmi nous hésitent aussi, comme moi, entre le désir de l’engueuler pour cette bêtise de gamin et celui de le canoniser pour la noblesse de son cœur, aussi délicat que puissant. Mais Godefroy ne serait pas Godefroy s’il marchait comme tout le monde au lieu de danser: si la facilité pouvait être une option envisageable, si on avait pu lui chausser des pantoufles. Celui qui refuse de dormir dans un lit a forcément du mal à mourir dans un lit.

Il est arrivé à Hauterive en août 2018, alors que nous vivions des moments douloureux en communauté. En bref: deux décès et trois départs sur la période de son séjour. Quelques jours après son arrivée, il voyait l’abbé d’Hauterive bafouiller au chapitre, sans pouvoir retenir ses larmes pour annoncer aux siens le départ imminent d’un des leurs. Il s’engagea immédiatement dans le tournus des soins à notre Fr. Bernard qui mourrait lentement dans l’allégresse du serviteur fidèle, pour rejoindre son Seigneur. Nous avons pu donc très vite voir l’émouvante scène de Fr. Godefroy auprès d’un être fragile.

Il venait pour renaître, m’avait-il précisé. Sa réputation plutôt inquiétante l’avait devancée. On a du mal à imaginer quelqu’un qui doit contenir en soi la puissance d’un Goliath et la grâce d’un David. Il était parfois le lieu même du terrible duel. On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, disait Pascal, mais bien en touchant les deux à la fois et remplissant tout l’entre deux. Le défi intérieur qu’il du affronter toute sa vie était là: éviter la rupture, offrir une solution de continuité. Non qu’il tentât d’en finir lui-même avec sa propre misère, au contraire, il acceptait de l’exposer à la Miséricorde divine. Sa manière si particulière de célébrer, les bras étendus à l’autel, me faisait penser à l’épouvantail qui s’expose à la bourrasque du tempétueux souffle de Dieu. « Le vent c’est quelqu’un » disait-il!

Il entreprit donc sa démarche de remise à plat de toute sa vocation avec sa détermination habituelle, et affronta avec courage l’humiliation d’un séjour dans la molle observance, selon son expression, joint à un suivi psychologique. Il a été très reconnaissant pour son passage à Hauterive et nous l’étions aussi. Il fut spécialement touché par son premier séjour en hiver aux Échelettes, notre alpage gruyèrien: la beauté de la montagne et la chaleur fraternelle avait commencé d’ouvrir en lui une espérance nouvelle à sa soit de fraternité. Puis vint une nuit de lumière, à Aiguebelle où il était revenu passer le mois d’août 2019, en la fête de la Transfiguration. L’éclat du Christ sur la montagne était le rappel précieux de son premier appel à l’abbaye de Spencer en la Transfiguration 2001, alors qu’il était officier de liaison aux USA. C’est la raison pour laquelle il fut si attaché à cette fête, et voulut en écrire l’icône, chez nous deux mois tard… sa première icône, ici exposée. Il parlait ainsi de ce mystère: « Il y a dans toute vie un jour de transfiguration, un jour où la joie naît comme une aube qui se lève. Ce jour où nous est donné soudain de comprendre que notre existence n’est pas une errance ballotée par le hasard, ni un absurde tissu de déterminismes, mais que le train va quelque part: il a une destination; nous sommes attendus, aimés; et nous ne sommes pas seuls sur le chemin. »

Avec cette aube naissante et renaissante, Dieu confirmait que lentement il était en train de réaccorder le stradivarius arrivé chez nous dans un piteux état. Puis, il fallut le constater après son séjour à Aiguebelle, il était venu pour renaître: c’était fait ! Même si cela restait l’enjeu de chaque journée. Que faire maintenant de ce surplus de vie?

Lente décision à prendre devant tant d’options réouvertes: ermitage, fondation au Moyen Orient, l’Islam… Cependant la confirmation de l’appel de Spencer qui retentit à Aiguebelle lui laissait entendre que le Seigneur lui indiquait son Ordre à la communauté : l’obéissance. Il suffisait simplement de s’en remettre aux siens, sa vie était déjà donnée, sans plus rien lâcher cependant de son besoin de fraternité, qu’il regoûtait comme l’ADN du cénobitisme ! Évidemment, je vous l’avoue, j’ai tenté ma chance : je lui ai proposé de rester avec nous à Hauterive. Il le savait bien, mais je lui dis combien nous l’aimions, qu’il était déjà notre frère, pourquoi changer ? Mais sa décision était nette, puisque maintenant il était notre frère, pourquoi changer : il rentrait à Aiguebelle. Alors… je me suis vengé !

Après quelques consultations – quand je pense que j’ai hésité, je m’en étonne maintenant ! – j’ai glissé à Dom Georges d’Aiguebelle tout le mal que je pensais de Fr. Godefroy et combien il serait précieux là où l’on manquait tant de cadres. Comme Dom Georges connaissait le lien d’Hauterive avec Acey, il m’a demandé si je pensais que Fr. Godefroy pourrait aider Acey comme supérieur ! Cela supposait de le jeter dans la piscine sans avoir vérifié qu’il savait nager; mais je me proposais volontiers pour accompagner ses premières tasses en évitant la noyade.

Dom Georges venu officiellement à Hauterive pour nous remercier, lui proposa de devenir Supérieur ad nutum à Acey. Après le choc premier, nous avons pu longuement en reparler tous les deux. Il n’a finalement accepté la mission que le 2 janvier 2020, c’est-à-dire deux jours après son retour à Aiguebelle.

Notre relation est devenue alors téléphonique surtout. Le soutien des premiers mois s’est transformé en échange et soutien mutuel dans les joies et les peines de l’abbatiat. J’étais souvent impressionné par l’intelligence et l’intégrité de son cœur de pasteur. Notre communion-communis signifie : avoir en commun un munus, une charge, une mission, faire œuvre commune – grandissait dans le fait de porter ensemble notre charge respective : celle d’aimer chacun nos frères et de les provoquer à l’amour fraternel. Je cherche mes frères: Fraters meos quaero. C’est ainsi que sa belle devise traduisit le sens de sa mission. Illustrant une constante de sa manière d’être : faire trésor de ce qu’il recevait des autres avec gratitude pour le déployer à sa taille, magnifique !

J’aimerais tant vous écouter tous me parler de lui. Je sais aussi qu’il aurait aimé encore se réconcilier avec certains qui avaient peut-être rencontré Goliath sans voir David, et pourtant sans vouloir les blesser. Je terminerai par ceci:
Pour monter à la Dent de Brenleire, Dom Godefroy choisit de faire un petit détour de 30 km par le prieuré clunisien de Rougemont, soit 55 km, 1500 m de dénivelé positif, avec un vélo minable. Puis, la montée en courant des 1100 m de la belle Dent, en basket et malgré les bourrasques de vent, malgré son mal de dos, ses pieds violets et boursouflés. La montée est exaltante et sans danger, la descente, sur la crête, suppose d’aller plus lentement. Lui courrait sans doute. Que s’est-il passé ? Vingt fois déjà le Seigneur l’avait protégé – ses « amis en bleu » pourraient nous les relater – et des centaines de fois il avait chanté le psaume 55 : Mon Dieu, je tiendrai ma promesse, je t’offrirai des sacrifices d’action de grâce; car tu m’as délivré de la mort et tu préserves mes pieds de la chute… Pas ce jeudi 3 août autour de 16 h 15. Quelle bêtise! diront certains bouleversés du vide qu’il nous laisse. Moi, je me borne à rendre grâce au Seigneur: quel homme! Quelle est belle ta lumière en cet homme! Quelle joie tu m’as donnée de le rencontrer! Et s’il n’aimait pas les raccourcis, si la souffrance ne l’arrêtait pas, s’il était tant ému par la fragilité des autres, j’ose alors vous suggérer de ne pas hésiter à lui demander un coup de main dans votre détresse. Dom Godefroy ne s’est pas enfui par facilité. Cela ne m’étonnerait pas qu’il ose encore faire quelques détours par nos misères avant de monter sur la montagne embrasée de lumière. En fait il ne veut pas monter sans nous.

Dom Marc de Pothuau OCist
Abbé d’Hauterive

Hommage en photos à Dom Godefroy