Première lecture : Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4 Deuxième lecture : 2 Tm 1, 6-8.13-14 Évangile : Lc 17, 5-10
Habacuc 1, 2-3 ; 2, 2-4 2 Timothée 1, 6-8.13-14 Luc 17, 5-10
Au moins c’est clair ! D’autant plus que c’est Jésus lui-même qui s’exprime : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi. »
Mais ne sommes-nous pas ici en plein univers magique ?… D’ailleurs, planter un arbre dans la mer, quelle drôle d’idée ! A quoi ça rime ?…
Heureusement, la suite des propos de Jésus est d’un tout autre ordre. Là, plus rien de merveilleux. Jésus nous replace au cœur de notre vécu le plus ordinaire, le plus banal : le travail des champs, la garde des troupeaux, le service mutuel.
C’est un complet renversement de perspective par rapport à la fameuse scène de la plantation de l’arbre dans la mer. Non plus : « Déracine-toi et va te planter dans la mer », mais : « Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir (…) ensuite, tu mangeras et boiras à ton tour. » Et de ces services exigés, il n’y a aucune gratification à attendre : « Quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” »
“Simples serviteurs” Ce sont les mots de la traduction liturgique, mais personnellement je trouve très dommage que, sous prétexte de respect de ce que nous sommes et de ce que nous faisons, on ait modifié le texte original grec qui parle non pas de “simples serviteurs”, mais de “serviteurs inutiles”. Oui, “inutiles !”, car notre relation avec le Seigneur n’est pas de l’ordre du productif, du contractuel, du donnant donnant, mais de la gratuité de l’amour. Saint Bernardaffirme : « J’aime parce que j’aime. » … et non pas, parce que j’attends un salaire de mon service, de mon dévouement. D’ailleurs, Jésus lui-même, nous le dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis, car tout ce que j’ai reçu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. » (Jn 15, 15)
Oui, Jésus nous invite à entrer dans une relation de gratuité, et donc de liberté, avec lui-même ainsi qu’avec son Père. Une relation non pas fondée sur nos bonnes actions, nos pratiques religieuses et nos mérites, mais sur la totale gratuité de l’amour qui vient de Dieu. Car c’est toujours Dieu, qui est premier, c’est toujours Dieu qui a l’initiative, c’est toujours Dieu qui est la source de notre amour et de notre foi.
Une telle relation n’est certainement pas la voie facile qui nous préservera des épreuves de l’existence. Bien au contraire ! Car le silence de Dieu est souvent une redoutable mise à l’épreuve de notre foi face aux injustices et aux désordres du monde ?… Des millénaires avant nous le prophète Habacuc (2ème lecture) éprouvait déjà ce drame : « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? Crier vers toi : “violence !” sans que tu sauves ? Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. »
Oui, comment demeurer fermes dans notre confiance en Dieu alors que nous sommes confrontés à tant de situations tragiques dans la société et dans l’Église, et que nous avons nous-mêmes bien du mal à demeurer fidèles aux exigences de l’Évangile.
Et cependant pour Habacuc, comme pour la multitude des martyrs et des saints qui, à travers les pires épreuves, sont allés jusqu’au bout du don d’eux-mêmes, la relation au Seigneur a été paradoxalement source de paix et de joie.
Nous n’avons donc pas à demander une augmentation de notre foi, mais à vivre dans une relation de confiance toujours plus intense avec le Seigneur. Une confiance qui nous permette d’assumer, le cœur en paix, notre existence avec son lot de peines et d’épreuves, mais aussi de joies. La parole de Jésus à ses disciples demeure toujours d’actualité pour chacun et chacune de nous : « Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » (Jn 16, 33)
J’aime bien ce que la dominicaine Véronique Margron écrit à propos de notre Évangile : « Voilà ce que la foi fait, , elle dont la taille n’a pas d’indicateurs de mesure connu. Dans le minuscule elle œuvre et nous transfigure. Non en surhomme ni en esclave. Juste en chrétien qui humblement cherche et aime son Dieu et désire plus que tout vivre de sa vie généreuse. » (cf. Magnificat oct. 2025)
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