Olivier CLÉMENT
On ne parle pas facilement de la Résurrection. Pas plus qu’on ne parle aisément de la vie, de l’amour, bref, de tout ce qui compte vraiment. La Résurrection, pour moi, ce n’est pas quelque chose, mais quelqu’un. Et ce quelqu’un c’est Jésus Christ, vivant !
Ce qui m’intéresse en effet ce n’est pas uniquement ce qui s’est passé il y a deux mille ans. Mais ce qui se passe encore aujourd’hui. A travers notre vie, nos souffrances, nos joies, nous faisons l’expérience du Ressuscité. On vit cela plus qu’on ne l’exprime. Quand on voit les choses, on ne pense pas à la lumière. La Résurrection, c’est la lumière qui permet de voir, l’air qui permet de respirer.
Plus on avance dans la vie, et plus on voit que la mort est partout présente. La vie est mêlée de mort. Finalement, il n’y a que deux réalités : l’amour et la mort. Apparemment, la mort l’emporte toujours sur l’amour. Mais si le Christ est ressuscité, tout change, l’amour peut l’emporter, il est plus fort que la mort, comme dit le Cantique des Cantiques. Le mystère de la Résurrection est au cœur même de ce bouleversement. C’est le mystère de la Vie, d’une Vie tellement puissante qu’elle retourne la mort, qu’elle en change la signification. La mort devient passage, c’est Pâques. La mort est notre condition quotidienne. Mais par le Ressuscité la vie afflue en nous, et tout se transforme en joie, en paix profonde, en possibilité d’aimer.
Pour l’essentiel, l’Eglise est le témoin de la Résurrection. De génération en génération, des hommes et des femmes sont appelés à en vivre. Quelques-uns lui deviennent transparents, ce sont les saints. Il y a plus de vrais chrétiens qu’on ne l’imagine. Ils sont le corps du Ressuscité, le temple de l’Esprit. A travers leurs faiblesses, leurs souffrances, ils rendent compte humblement de cette grande joie de la Résurrection.
Pour n’importe quel homme, la Résurrection devrait être une question. Les témoignages que nous en avons, remontent à l’événement lui-même. Au lendemain de la mort du Christ, des hommes sont allés de ville en ville, de pays en pays, pour annoncer l’incroyable nouvelle. Comment expliquer la joie, la persévérance de ces hommes ? Les apôtres ne pouvaient inventer la Résurrection. Ils étaient désespérés. Les apparitions elles-mêmes ne les ont pas convaincus tout d’abord. Il a fallu le don de l’Esprit, la Pentecôte pour qu’ils comprennent pleinement.
Bien sûr, pour s’ouvrir au Ressuscité, il ne faut pas rester enfermé dans le monde des apparences. Et cela nous arrive bien plus souvent que nous ne pensons. S’il n’y avait dans les yeux de la femme qu’on aime qu’un peu de matière qui joue avec elle-même, d’où viendrait, dans ces yeux, la lumière de la confiance et du véritable amour ? En l’homme il y a plus que l’homme. Il suffit pour le croire d’avoir vu un enfant inventer une chanson, un grand mathématicien improviser au tableau, d’avoir écouté une musique de Mozart ou contemplé une icône ou un vitrail de Chartres.
L’homme, c’est bien autre chose qu’un protozoaire qui s’est compliqué. Il est de la terre, mais il est aussi du ciel. Il pèse son poids de terre, mais aussi son poids d’infini. L’homme s’ouvre sur la vie profonde. L’homme est secrètement ouvert sur l’invisible ; des générations l’ont su, l’ont expérimenté depuis toujours. Nous avons laissé dépérir nos facultés de contemplation au profit de nos facultés de travail et de calcul, de maîtrise rationnelle du monde physique.
« Aimer quelqu’un, a écrit Gabriel Marcel, c’est lui dire : tu ne mourras pas ». En Jésus Christ, voilà ce que nous pouvons dire aux hommes : la mort est vaincue, le Christ est ressuscité, mon frère, tu es vivant pour toujours !
L’Église, une communauté de ressuscités, dans « Panorama aujourd’hui », avril 1972