Homélie
Première lecture: Genèse 2, 18-24, Psaume: 127, Deuxième lecture: Hébreux 2, 9-11, Évangile: Marc 10, 2-16
Messe
27e dim. du Temps Ordinaire – Mc 2,10-16
A.C. 2024
Si l’on interrogeait les gens pour savoir quelle page d’Evangile ils arracheraient pour la faire disparaître, nul doute que celle que nous venons de lire recueillerait une forte adhésion. Car l’enseignement du Christ sur l’indissolubilité du mariage, que répercute fidèlement l’Eglise, semble devenu inaudible par nos contemporains. L’homélie n’est pas le lieu pour faire le tour d’une question aussi délicate et complexe. Mais nous pouvons au moins tenter de discerner certains des fondements d’une telle position. Puisque les pharisiens veulent un débat, Jésus ne va pas se dérober. Il va même les inviter sur leur propre terrain : celui des Ecritures. Sa réponse à leur question piège ne va donc pas paraître comme une opinion personnelle, mais comme l’enseignement de la Révélation divine. Pas seulement pour leur clouer le bec : on aurait alors affaire à un argument d’autorité peu en consonance avec la pédagogie habituelle du Christ. Mais pour les amener à se référer à ce qui est la source inspiratrice de notre agir humain : le projet de Dieu pour l’homme, inscrit dans la Création : «Au commencement du monde, quand Dieu créa l’humanité…». Jésus l’a dit : il n’est pas venu pour abolir la Loi, mais l’accomplir. Sans remettre explicitement en cause la prescription de Moïse mise en avant par ses interlocuteurs, il va leur rappeler qu’elle est une concession faite à notre faiblesse, notre endurcissement de cœur. Mais que Dieu ne prend pas son parti de ces limites humaines et qu’il voit l’homme plus grand qu’elles. Jésus sait pertinemment bien que personne ne peut d’emblée prétendre être fidèle jusqu’au bout. Au soir de sa passion il en fera l’amère expérience avec Pierre : « Même si tous succombent, du moins pas moi! » ; «avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois. ». Mais il sait aussi que Dieu ne nous enferme pas dans nos incapacités, que sa Parole est un appel à la liberté d’un amour toujours plus grand. « Plus est en vous », dit joliment la devise inscrite au fronton d’un palais de Bruges. Et ce « plus » comment le susciter, l’encourager sinon en proposant un idéal qui soit à la hauteur des espérances divines pour l’homme ? En faisant allusion au récit de la création lu en 1e lecture, Jésus rappelle que l’humanité a été créée une, mais en deux pôles : « Quand Dieu créa l’humanité, il les fit homme et femme ». Et que ces deux pôles sont ordonnés l’un à l’autre. Il y a inscrit en chacun un manque, une incomplétude, qui le pousse vers l’autre, pour y trouver la complémentarité « ainsi ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu’un ». L’être humain a été créé pour être ordonné au mystère de l’autre. Un autre qui est une personne, et pas un objet dont on se débarrasserait à son gré, que l’on renverrait comme une marchandise qui ne répond pas à la commande. Notons que ce sont des hommes qui ont posé une question à Jésus, question qui ne concerne que le sort de la femme. La réaction ferme de Jésus a dû faire choc dans une société où la femme ne comptait pas pour grand chose. Il en est de même de sa virulence face aux disciples rabrouant les enfants, ces enfants qui comptaient encore moins. Mais ceux-ci ne sont-ils pas justement l’image de l’autre dans ce qu’il peut avoir de dérangeant, d’incontrôlable ? Car souvent il en est ainsi dans nos relations une fois passé la lune de miel : l’autre dérange, déconcerte, devient parfois incompréhensible. C’est alors le temps de l’épreuve, celle de l’amour véritable. Un amour qui suppose une certaine souffrance purificatrice, car il nous oblige à reconnaître que nous ne sommes pas prêts à accueillir le mystère de l’autre tel qu’il est, et qu’aller au-delà de cette incapacité foncière exige de nous un dépouillement radical : renoncer à notre volonté de toute puissance sur l’autre. Comme beaucoup de nos réalités humaines, ce mystère de l’homme orienté vers l’autre qu’est la femme, et vice versa, pour ne faire plus qu’un, est le reflet d’un mystère plus grand encore. Celui de l’humanité orientée vers le Tout Autre, Dieu qui lui aussi ne désire faire qu’un avec elle. Un Tout Autre qui se présente à nous bien souvent sous des dehors déconcertants. Saurons-nous accueillir le Tout Autre si nous ne le faisons pas déjà avec l’autre que nous côtoyons au quotidien ?
P. M. Bruno