Première lecture: Isaïe 56, 1-7, Psaume: 83, Deuxième lecture: Apocalypse 21, 1-5, Évangile: St Jean 2, 13-22
Dédicace N.D. D’Acey
A.C. 2024
Lorsque l’on parcours le volume des « Sermons pour l’année » de St Bernard, édité par le Fr Pierre-Yves Emery on est frappé par l’importance numérique de ceux consacrés à l’anniversaire de la dédicace : 6 sermons. Alors qu’on en a 5 pour Noël et Toussaint, et 4 pour Pâques. Peut-être parce que la célébration de la dédicace à Clairvaux devait être quelque chose de grandiose. Pensez-donc : une abbatiale d’une capacité d’accueil de presque 500 religieux. Mais plus profondément parce que la tradition monastique, et cistercienne en particulier, à toujours tenu en haute estime cette fête liturgique de la dédicace de l’église du monastère et de sa commémoration annuelle. La dédicace de l’église du monastère est aussi celle du monastère tout entier. C’est l’intuition de St Benoît qui, trois fois dans sa Règle, parle du monastère en l’appelant d’une des expressions habituellement employées pour désigner une église : domus Dei, la maison de Dieu. Ainsi au chapitre 53 sur l’accueil des hôtes : « Ce sont des gens sages qui gouverneront la maison de Dieu avec sagesse ». Les cisterciens feront un pas de plus en appliquant à chaque monastère particulier le titre d’Eglise. Ainsi on lit dans le Grand Exorde : « Devenue veuve de son pasteur, l’Eglise de Cîteaux se réunit en assemblée ». Comme on parle de notre diocèse en disant « l’Eglise de St Claude » on peut parler de notre communauté en l’appelant « l’Eglise d’Acey ». Les sermons de St Bernard s’inscrivent dans cette perspective. « Oui elle est nôtre cette fête ». C’est l’idée maîtresse de l’enseignement bernardin. Nôtre parce que la dédicace de notre église est la seule fête du calendrier liturgique qui nous soit propre. « Car les fêtes des saints nous sont communes avec toutes les Eglises, alors que cette fête-ci nous est propre : à moins d’être célébrée par nous elle ne l’est par personne. La dédicace de notre maison est une célébration d’ordre familiale ». Mais de manière plus profonde encore cette fête peut être dite nôtre « car c’est de nous qu’il s’agit », « elle constitue la dédicace de nous-mêmes ». « Il est nécessaire que s’accomplisse en nous ce qui d’abord a été accompli visiblement sur les murs du bâtiment » St Bernard fait ici allusion aux rites de l’aspersion, de l’onction et de l’illumination. Qui nous renvoie au rite de notre propre consécration, au jour de notre baptême. Ainsi chaque frère peut-il se considérer comme le Temple du Seigneur, et cela par le fait même qu’il est créé à l’image de Dieu : « Voilà pourquoi, à présent, je sais où il faut lui préparer une maison car rien ne lui convient, sinon son image. Oui l’âme est capable de l’accueillir, puisque, on le sait, elle a été créée à son image ». Mais il n’y a pas que l’âme qui soit le lieu de la Présence divine, le corps, qui a été l’objet de la consécration baptismale, « est aussi associé à cette faveur, à cette dignité, à cette gloire ». Ainsi donc, si le bâtiment est saint c’est uniquement en fonction de la sainteté des personnes qui l’habitent. Mais Bernard n’oublie pas qu’il s’adresse à une communauté de cénobites qui n’est pas qu’une juxtaposition d’individus. C’est donc la communauté en tant qu’assemblée de croyants qui est aussi le lieu que Dieu s’est choisi pour demeure. Et le ciment qui lie les pierres vivantes c’est la charité. « Du ciment nous lisons chez Isaïe qu’il est bon. Double est le ciment qui rassemblent ces pierres : celui de la pleine connaissance et celui du parfait amour fraternel. Oui, l’amour qui les lie entre eux est d’autant plus grand que les frères se tiennent plus près de l’amour même : Dieu ». Et St Bernard ne manque pas d’orienter nos regards sur le but vers lequel nous tendons : « La maison du ciel a donc été plus profondément unifiée, comme elle le restera pour l’éternité, tandis que celle d’ici-bas est semblable à une tente de guerriers, sa cohésion est moins parfaite. Oui, celle du ciel est demeure de l’allégresse, celle de la terre demeure du service armé. Celle-là demeure de la louange, celle-ci demeure de la prière. Celle-ci dis-je, est ville de notre force, celle-là sera cité de notre repos ».
NOTRE DAME D’ACEY LA BELLE DAME de 888 ANS
Construite au carrefour des routes qui mènent de l’Ouest à l’Est et du Sud Nord, l’Abbaye d’Acey est le vivant symbole de ce que notre vieille Europe porte en elle de plus profond et de plus précieux. Ici, la foi de tant de générations de moines, a lancé vers le ciel ce grand corps de pierre agenouillé dans la lumière du soir.
Vous venez d’en franchir le seuil et déjà son silence vous envahit de sa paix. Dans la grisaille de notre quotidien, cet espace fait brèche comme une trouée vers la transcendance. L’infini affleure tout en restant inaccessible. Une beauté mystérieuse semble y habiter. Une beauté lustrée de son soleil secret qui transfigure même les rides. Une beauté qui échappe à toute analyse et qui ne se discerne qu’avec le Cœur…
Notre Dame d’Acey est un haut lieu de la rencontre. Il faut entrer dans cet espace, retirer les masques, et tenir sa vérité comme une flamme fragile au creux de ses deux mains. Il faut se taire aussi et fondre le silence personnel dans le vaste silence qui est la présence et la conscience de cette église.
Alors les pierres parlent. Et quelle que soit sa passion, quel que soit son malheur, quelle que soit sa révolte, tout Homme est ici chez lui pourvu qu’il sache porter sa peine. Quiconque franchit le portail de Notre Dame d’Acey découvre la sécurité. Aucune solitude n’y résiste. C’est ici le lieu de la réconciliation la plus profonde et souvent la plus décisive : celle de l’humain avec le sacré car le puissant mouvement qui s’élance des piliers et des colonnes pour s’épanouir dans la légèreté des voûtes nous entraîne vers le haut, au-delà de nous-mêmes, jusqu’au soleil qui joue avec la pierre qui devient présence et tendresse de Dieu dans la lumière.
Chaque matin le soleil glorieux ressuscite sur le chœur et sur l’autel, là où Jésus-Ressuscité revient parmi nous. C’est ici que chacun peut entendre l’appel le plus profond, celui que la vie fiévreuse et ses angoisses risquaient d’étouffer à jamais. C ‘est ici qu’un destin se découvre liberté car c’est ici que toute emprise desserre son étreinte, et dans la paix retrouvée, quand nos regards fatigués se lèvent vers le Christ en croix, ils contemplent dans ce visage la souveraine sécurité, celle qui suit les combats.
O abbatiale, fondée sur l’amour du Dieu créateur pour nous, voix de joies toutes nos joies et de nos peines, fléchée dans la fervente symphonie des vitraux que le soleil levant féconde ! Louée sois-tu, musique pure de ces vitraux, émouvants dans leur discrète abstraction, ils nous apprennent à respirer le mystère. A mesure que l’aube monte dans le ciel, le soleil les allume l’un après l’autre. En chacun d’eux, tour à tour, le monde s’éveille. Les feuillages des arbres surgissent alors les verrières s’animent d’un jour nouveau. C’est un grouillement lumineux qui accueille les fidèles aux Laudes.
Maison construite sur la paix de l’éternité, de ses murs rayonne la rayonne la compassion, de son ombre jaillit une voix qui fait vivre. Dans le silence de cette église, on cueille les cris de notre terre et l’on dépose le fardeau du monde sur l’autel. Maison de notre de notre Dieu, bâtie sur la miséricorde, en elle les regards traqués rencontrent celui qui pardonne.
Vigiles de la dédicace de Notre Dame d’Acey
17 septembre 2024
P. Bernard