Homélie en la Solennité de St BERNARD
Abbaye d’Acey 20 août 2024
Qui dit St Bernard, songe spontanément à un homme auréolé de bien des grandeurs humaines et spirituelles. Fils de chevalier, à l’âme chevaleresque lui-même, fin lettré et grand orateur, spirituel ayant marché de hauteurs en hauteurs sur les voies de la vie mystique, ardent propagateur de la réforme monastique cistercienne à travers toute l’Europe, conseiller des papes et des puissants de ce monde, arbitre des grands conflits en cours, etc… etc… Bref, ô combien admirable mais si peu imitable.
Mais ce serait ne voir là qu’une facette du personnage. La plus prestigieuse, celle qu’ont retenue l’hagiographie et l’histoire. Et oublier que Bernard, pas plus que n’importe quel autre saint d’ailleurs, n’a été un sur-homme et qu’il a expérimenté dans sa chair la radicale pauvreté de la nature humaine. Et qu’il aurait très bien pu être l’auteur d’un ouvrage publié par un philosophe contemporain : “Eloge de la faiblesse“.
N’a-t-il pas écrit dans son commentaire du Cantique des Cantiques : “O optanda infirmitas ! Oh souhaitable faiblesse ! Qui me donnera non seulement d’être faible, mais d’être défait et de défaillir tout entier a moi-même, pour être rendu stable par la puissance du Seigneur. En effet, la force de Dieu prend toute sa mesure dans la faiblesse“. Cette dernière phrase, citation de St Paul aux Colossiens, fut d’ailleurs un des passages de l’Ecriture le plus souvent cité par l’abbé de Clairvaux.
Faiblesse qu’il a connu dans sa propre chair. Suite à une première et sérieuse alerte au début de son abbatiat, qui l’a contraint à prendre une année de repos à l’écart de sa communauté, toute sa vie Bernard a pâti d’une santé déficiente, qui l’a obligé à suivre un régime particulier.
Crise d’ordre psychologique et spirituelle lorsqu’à peu près à la même époque s’est installé un climat d’incompréhension et de malaise entre lui et ses frères. Planant dans les hautes sphères mystiques, il ne s’était pas rendu compte que ses exigences et ses discours découlaient d’un idéal exacerbé et déconnecté de la réalité qui le rendait incapable de faire preuve d’une authentique écoute de ses frères, de les rejoindre là où ils en étaient, dans leur faiblesse, dans leur médiocrité parfois.
Ces deux crises furent salutaires pour Bernard, et lui permirent d’apprivoiser la faiblesse des autres, mais aussi la sienne. Car si ses biographes ont brossé de lui un portrait flatteur, et ce depuis sa naissance, selon les canons habituels de l’hagiographie, la lecture des confidences qu’il laisse échapper dans ses lettres et sermons, montre qu’il a dû parfois batailler dur contre les tentations. Les descriptions qu’il fait de celles-ci ne sont pas de simples abstractions intellectuelles, mais belle et bien l’écho de son vécu personnel.
En fidèle lecteur des Ecritures, qu’il connaît par cœur, par le cœur, Bernard va intégrer dans sa pensée et sa spiritualité cette réalité de l’histoire du salut qui n’est rien d’autre que la rencontre de Dieu avec la faiblesse humaine, jusqu’au point de l’épouser dans le grand mystère de l’Incarnation pour y insérer sa puissance divine : “Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse“.
Il n’aura alors de cesse d’inviter ses auditeurs et ses lecteurs à ne pas “se laisser décourager ni écraser par leur faiblesse à ne pas être sans cesse obnubilé par elle et à toute heure prêt à faire le récit des souffrances qu’elle lui inflige, […] dispose à tomber dans le désespoir, en proie à l’angoisse“. Inutile donc de se la cacher, ou de la cacher aux autres. Puisqu’elle peut être bonne si elle se change en occasion de progrès spirituel. Puisque seul celui qui se sait malade et le reconnaît appel le médecin à son secours. Un médecin qui ne le traite pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. Puisque prenant sur lui notre propre faiblesse, nos propres souffrances, il les a pénétrées pour en faire lui-même l’expérience effective. Il les vit avec nous, il les vit en nous. Mais pas pour s’y arrêter. C’est dans la Pâque du Christ que la faiblesse a été mystérieusement transformée en gloire. Nos faiblesses deviennent alors les ouvertures dont dispose la miséricorde qui déborde des entrailles du Seigneur et qui se répand en nous.
Doctor mellifluus, st Bernard pourrait aussi à juste titre être appelé doctor misericordiae.