Veillée de prière du jeudi 10 août 2023 à 19 h 30
Le petit Godefroy naît dans la cité royale de Versailles le 18 septembre 1970, au foyer de Philippe et Christine Raguenet de St Albin. Le papa est alors agent commercial et la maman (décédé en 2020) est mère au foyer. Il a un frère aîné Thibaut, décédé lui aussi prématurément en 2011 et une sœur cadette Sybille qui deviendra carmélite à Laval. Nous saluons avec affection son papa et sa sœur présents ce soir.
C’est à l’âge de 15 ans qu’il vit sa première rencontre avec la vie monastique. Durant l’été 1985 il est embauché pour l’accueil à l’abbaye de Lérins, sur l’île de Saint Honorat, comme d’autres jeunes de son âge. C’est son premier contact avec la vie contemplative. Il découvre entre autres le chant des psaumes pendant les offices liturgiques et surtout des hommes visiblement heureux.
« A 20 ans, il rejoint les rangs de la Marine Nationale. Après 2 années de classes préparatoires au Lycée naval de Brest, il fait ses premiers pas de marin militaire à l’école navale, puis sur le porte-hélicoptères Jeanne d’Arc à bord duquel il découvre le grand large, jusqu’en Polynésie. Il rejoint ensuite les commandos marine. Il sert dans un premier temps au commando de Penfentenyo, basé à Lorient. Mais être un « simple » commando marine ne lui suffit pas et il décide de devenir nageur de combat. Au terme d’une formation exigeante et sélective, il rejoint le commando Hubert basé à Saint Mandrier. Rien ne semble pouvoir l’atteindre et encore moins l’abattre. Certainement pas ce rocher qui écrase 2 doigts de sa main gauche en Corse à l’occasion (déjà !) d’une confrontation avec la montagne. Cet accident intervient peu de temps avant une nouvelle année de sélection et de formation à Lorient. Bien que physiquement diminué et en dépit des douleurs, il surmonte les épreuves par la force de sa volonté et réussit les tests pour conserver ses qualifications de commando, tout en tirant vers le haut ses camarades qui n’ont pas les mêmes capacités que lui. Il est ensuite affecté sur le porte-avions Foch à bord duquel il est déployé en mission en Adriatique pendant les conflits en ex-Yougoslavie. » (Témoignage de ses camarades).
En 2000 il est sélectionné par la Marine pour être officier d’échange au sein des commandos d’élite de la marine américaine, les Navy-seals. C’est durant cette expérience outre-atlantique que Godefroy va se retrouver, une fois encore, rejoint par la vie monastique.
Aux Etats-Unis il fréquente alors la trappe de Spencer dans le Massachusetts. C’est là qu’un frère de la communauté lui met entre les mains le livre de celui qui était alors notre abbé général, Dom Bernardo, intitulé « Jusqu’où suivre ? » qui présentait les frères martyrs de Tibhirine. Profondément marqué par leur témoignage communautaire et par la fécondité de leur vie offerte, un long compagnonnage s’ouvre désormais avec ceux qu’il appelait « les 7 ».
C’est toujours aux Etats-Unis qu’il apprend qu’il y a un essai de refondation du monastère de Tibhirine. 5 frères de différents monastères vivent alors à Alger pour préparer ce retour des moines. Godefroy décide d’être de l’aventure. Mais il lui faut déjà suivre la formation monastique initiale. Pour ce faire il choisit d’entrerà l’abbaye d’Aiguebelle, maison-mère de Tibhirine, pour y vivre un noviciat. Six mois après son entrée l’annonce est faite que le projet de refondation de Tibhirine est abandonné. Il poursuit donc sa formation pour être moine d’Aiguebelle mais sans cesser d’envisager « un ailleurs ». Son parcours monastique en sera rendu chaotique et parfois douloureux… Le 8 septembre 2003, en la fête de la Nativité de Marie il fait sa profession temporaire. Profession solennelle pour la fête de l’Immaculée conception le 8 décembre 2007. Il passe 5 années universitaires à Paris, où il loge chez les bénédictins de la Source, comme étudiant en théologie à l’Institut Catholique. En juillet – août 2009, il est en pension chez les dominicains du Caire pour des études d’arabe littéraire et culture arabe, à l’Institut Dominicain d’Etudes Orientales, Il est ordonné prêtre le 1er octobre 2011 par Mgr Vincent Landel alors archevêque de Rabat au Maroc. Pays dans lequel il se rend plusieurs fois pour aller vivre des séjours dans la communauté de Midelt qui prolonge la communauté de Thibirine et où vivent encore les 2 rescapés du drame de 1996, P. Amédée et P. Jean-Pierre. En 2013 il fait un séjour de mai à juillet au Monastère de Kasanza, en République Dem. du Congo, pour aider à la formation des frères : cours de philosophie, d’anglais, sur l’Islam, par les homélies, le travail manuel et la présence aux frères. En 2014 il rencontre un ancien novice du monastère de Mar Moussa au nord de Damas en Syrie, refondé par le P. Dall’Oglio jésuite porté disparu depuis 2013. Par deux fois il demande à pouvoir rejoindre cette communauté œcuménique en dialogue avec l’Islam. Les deux fois sa communauté refuse. A la fin de la même année il est sollicité pour être aumônier de la petite communauté de nos sœurs trappistines d’Azeir, en Syrie à la frontière avec le Liban. Il accepte et cette fois-ci sa communauté le laisse partir. Il arrive là-bas le 2 février 2015, en la fête de la Présentation du Seigneur. A son arrivée la zone où se situe le monastère est relativement pacifiée, même si la guerre reste proche et l’insécurité palpable. Il va rester 3 ans et demi au service de nos sœurs réalisant ainsi ce qu’il avait désiré : être, selon son expression « un petit grain de prière dans une marée de souffrance » et vivre le dialogue avec l’islam. Il quitte la Syrie le 10 mai 2018, jour de l’Ascension.
Avant de rentrer à d’Aiguebelle il demande à prendre un temps dans une autre communauté : celle de nos frères d’ Hauterive, de l’Ordre de Cîteaux en Suisse. Il mettra à profit les mois qu’il y passera pour un travail de reconstruction personnelle. Mais surtout il goûtera dans cette communauté un art de vivre la vie cistercienne plus proche de ses aspirations où la vie fraternelle est la condition d’une quête authentique du Dieu qui nous prend dans le dynamisme des relations des 3 Personnes. Il restera très attaché à cette communauté qui se trouve être notre sœur de sang, fille de la même maison-mère Cherlieu.
En 2019 notre communauté est à un tournant de sa vie avec la démission pour raison d’âge de son abbé Dom Jean-Marc. Chargé de nous trouver un supérieur, Dom Georges, supérieur de notre maison-mère d’Aiguebelle songe à P. Godefroy qui vient de rentrer dans sa communauté. Celui-ci accepte et est installé supérieur ad nutum le 24 janvier 2020. Il sera élu abbé un peu plus d’un an plus tard en la fête de l’Annonciation le 25 mars 2021 et recevra la bénédiction abbatiale des mains de Mgr Jean-Luc Garin notre évêque le 17 septembre de la même année, en la solennité de la dédicace de notre église. Sa jeunesse, son tempérament et ses nombreux atouts humains et spirituels vont apporter un nouveau souffle à notre communauté.
D’emblée il va imprimer sa marque pastorale que résume le psaume 133 : «Qu’il est bon, qu’il est beau pour des frères d’habiter ensemble ! ». Entre autres initiatives il mettra en place des groupes de partage biblique, un chapitre de demande de pardon, un exercice collégial de la fonction de cellérier. Fonceur, il a l’étoffe d’un chef au prix parfois d’une certaine raideur et au risque de ne pas se rendre compte que la troupe peine à suivre. Pour autant il sait se montrer très attentif et prévenant auprès des frères en difficulté, des malades et de nos anciens. Homme à la foi ardente et au fort rayonnement, familier des Ecritures, à la paroleet à la plume faciles, il prend à cœur son rôle d’enseignant : chapitre quotidien ou il excelle à faire le lien entre la Règle et les lectures de la messe du jour, homélies consistantes dont la longueur (15 minutes !) est devenue légendaire !
A son arrivée il trouve notre atelier d’électrolyse dans une situation de grande tension en interne et avec la communauté. Patiemment, en s’appuyant sur l’ensemble du personnel, il contribuera à restaurer un climat de confiance et à retisser des liens entre les moines et l’atelier.
Il remplissait consciencieusement son rôle de Père Immédiat. C’est sous son abbatiat que notre progéniture est passée de 2 à 4 maison-filles de moniales. Il avait une prédilection pour la plus fragile d’entre elles, le monastère de Géronde en Suisse. Il remplissait de même des missions que lui confiait l’Ordre (récemment une visite régulière dans un de nos monastères anglais).
L’accident de jeudi dernier lors d’une randonnée en montagne en Suisse, alors qu’il y prenait un temps de repos bien mérité, est venu mettre un terme prématuré à son abbatiat, nous laissant orphelins et dans un grand désarroi. Mais sûr, dans la foi au Ressuscité, que là où il est, il ne nous abandonnera pas. Et comme nous l’a exprimé Mère Catherine de Géronde : « l’action de grâce pour le don que Dieu nous a fait en Dom Godefroy dépasse la douleur ».
Dom Godefroy a eu maille à partir avec la montagne. Ne soyons pas rancuniers avec elle. Je terminerai avec ces 2 couplets d’un chant italien envoyés par Mère Maria-Francesca de Valserena :
Dieu du ciel, Seigneur des cimes,
tu as demandé notre ami à la montagne,
mais nous te prions
jusqu’au Ciel, jusqu’au Ciel,
qu’il aille dans tes montagnes.
Sainte Marie, Dame de la neige,
couvrez de votre manteau blanc et doux
Notre ami, notre frère,
Jusqu’au Ciel, jusqu’au Ciel,
Laissez-le partir pour vos montagnes.
Nous allons maintenant entendre un enregistrement qui a été fait par notre amie Violaine, cinéaste, dans le cadre d’un documentaire pour KTO traitant de la manière dont se vit à Acey l’accompagnement des malades, des frères âgés et en fin de vie. On y entend Dom Godefroy lire le dernier chapitre du livre de Qohélet.