Homélie de Frère Bernard pour le 3e Dimanche de l’Avent -Année A- (11 Décembre 2022)

Isaïe 35, 1-6a.10; Jacques 5, 7-10 ; Évangile selon saint Matthieu 11, 2-11

3ème Dimanche de l’Avent – Année A

* Isaïe 35,1-10 * Jacques 5, 7-10 * Matthieu 11, 2-11


Quelqu’un d’on ne sait où vient d’annoncer partout que le Messie va venir.
Il a décroché la nouvelle du porte-manteau derrière la porte, il a enfoncé son chapeau
sur les yeux, il est sorti et il n’a pas même fermé la porte derrière lui. Depuis, la
nouvelle court comme un tambour annonçant chaque jour que le Messie va venir !
Parfois, dans le matin, aux abords des places publiques, sur la chanson du vent,
parvenaient aux oreilles une mince fumée de musique et de rires d’enfants qui
n’avaient pas quinze ans. C’étaient des gamins qui jouaient de la flûte. Mais personne
ne dansait. Entonnaient-ils des chants de deuil ? Personne ne se frappait la poitrine.
Toujours est-il qu’un soir, je ne sais plus lequel, sans doute un soir d’hiver,
lorsque les temps furent accomplis, Jésus parut. Il est venu de nuit, à l’improviste,
sans prévenir. Le voici. Le voici qui passe sur la place. Les badauds s’attroupent pour le
mieux voir. On dit qu’Il vient de Nazareth et qu’Il s’appelle Jésus. Il parle et ses paroles
descendent dans les cœurs comme le bon pain quand on a faim, l’eau fraîche quand on
a soif, la soupe chaude quand on est gelé.
Dans la foule, on avait entendu ses paroles et les uns disaient : « c’est
vraiment Lui le grand prophète ! » D’autres disaient : « C’est Lui, le Messie ! » Mais
d’autres encore demandaient : « Est-ce que le Messie peut venir de Galilée ? Lui, nous
savons d’où Il est. Or, lorsque le Messie viendra, personne ne saura d’où Il est ». C’est
ainsi que la foule se divisa à son sujet. Un jour que Jésus allait et venait dans le
Temple sous la colonnade de Salomon, des juifs se groupèrent autour de Lui ; ils lui
disaient : « Combien de temps vas-tu nous laisser dans le doute ? Si tu es le Messie,
dis-le nous ouvertement ! » Jésus leur répondit : « Je vous l’ai dit et vous ne croyez
pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père, voilà ce qui me rend témoignage. »
Les juifs répliquèrent : « N’avons-nous pas raison de dire que tu es un samaritain et un
possédé ? »
Jean-Baptiste, lui-aussi, était troublé. Ce mangeur de sauterelles habillé à
la mode de l’homme des cavernes, envoya deux de ses disciples demander à Jésus :
« es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? »
Oui, Jean s’interroge : Jésus est-Il bien le Messie, Celui que tout Israël
attend en brûlant d’impatience et d’espérance ? Jean ne se serait-il pas trompé ? Car
enfin il faut se rendre à l’évidence : les œuvres de Jésus déçoivent de plus en plus ses
compatriotes ; la Galilée, Capharnaüm, Nazareth même, le pays de Jésus, ne se
convertissent pas. Le jeune prophète ne s’impose pas comme devrait s’imposer de
façon éclatante et irrécusable un envoyé de Dieu. Certes, il fait des miracles mais,
selon les critères officiels, ces miracles ne l’imposent pas comme Messie. Alors à quoi
bon faire des miracles, même s’ils correspondent aux prophéties? Jean est écartelé
entre ce qu’il entend raconter d’extraordinaire sur Jésus et l’absence de toute
manifestation éclatante de sa messianité. D’autant plus qu’il est prisonnier, et le Messie
qu’on attend doit libérer les prisonniers. S’Il ne délivre pas Jean, son prophète, son
ami, qui délivrera-t-il ? La discrétion dont s’entoure Jésus est incompréhensible. Il
n’invite pas à voir des prodiges. Il ne sonne pas de trompette et, aux infirmes qu’il
guérit, il interdit d’en sonner. Il n’est pas possible d’être plus dépourvu que l’est Jésus
de tout appareil de puissance.
Jean-Baptiste ne sait sans doute pas que le Messie qu’il annonce n’est pas
seulement un envoyé de Dieu, mais Dieu même incarné. Du moins, il peut avoir par
grâce une intuition de ce qui sera le cœur du message de Jésus : non seulement Dieu
donne, mais Il se donne lui-même.
Je pense que, dans sa prison de Machéronte, Jean-Baptiste en est là,
quand il envoie ses disciples demander à Jésus : « es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous
en attendre un autre ? » Il est humble entre les humbles. Que faut-il donc de plus
à ce géant de sainteté ? Pourquoi doute-t-il ? Il y a quelque chose que Jean ne sait pas
encore, c’est que Dieu en son éternité est humble. Il faut qu’il apprenne que c’est un
Dieu infiniment humble que Jésus doit révéler. Et cela, non seulement avec des mots,
mais par son être même et sa manière d’être.
Jean, comme tous les juifs, s’attendait à un déploiement de puissance et
de gloire. Or, Jésus s’obstine à donner des signes tellement dépourvus de puissance et
de gloire qu’ils sont des occasions de douter.
C’est l’humilité de Dieu qui exige que l’œuvre de Jésus soit une œuvre
d’humilité. Jean-Baptiste mourra avant d’avoir entendu Jésus prononcer la phrase qui
ouvre comme une clef toutes les portes de l’Évangile : « Qui me voit, voit le Père. » Si
Jean doute, c’est précisément parce que, voyant le Christ, il n’y reconnait pas l’image
du Père, l’idée qu’il se fait du Père. La Bonne Nouvelle, c’est que Dieu est Amour, et
que sa Puissance n’est pas autre que la puissance d’aimer en allant jusqu’au bout de
l’amour. Le bout de l’amour c’est la mort pour ceux qu’on aime. La puissance de Dieu
est une puissance d’effacement de soi, de pauvreté, d’humilité, finalement de mort.
Jean a vu Jésus plonger dans les eaux du Jourdain avec la foule des
pécheurs, mais Jean ne verra pas Jésus un linge autour des reins, laver les pieds de
ses apôtres. Il ne sera pas témoin de cette scène capitale où se manifeste la vraie
puissance et la vraie gloire, je veux dire l’humilité de Dieu.
Nous ne savons rien de ce que fut la méditation de Jean le Baptiste aux
dernières heures de sa vie. A-t-il parfaitement compris ? Mystère d’une grande âme qui
respire à la charnière des deux Testaments ! Ce qui est sûr, c’est que son doute a
achevé en lui l’œuvre de purification. Il en sera ainsi dans l’histoire de l’Église pour la
plupart des saints. Il faut, en effet, douter de l’idée qu’on se fait de Dieu pour consentir
enfin à ce que Dieu soit tout autre que ce qu’Il est dans nos rêves, pour préférer aux
arcs de triomphe l’arbre nu de la Croix. Le Messie a écrit sa vie en la signant d’une
croix. Comment ne pas douter ?
Qui peut se targuer de connaître vraiment Dieu? Au-delà des notions qui
s’apprennent, il est des vérités qui ne sont comprises ou connues qu’en étant vécues.
Dieu se révélera un jour si différent de celui que nous avions pu imaginer, mais si
conforme à ce que notre cœur en secret, avait ardemment désiré. C’est toujours à
partir de nous que nous imaginons nos scénarios, comme si nos facultés avaient la
prétention d’enfermer le projet de Dieu en elles. C’est notre insécurité et notre
méconnaissance de l’amour qui font en sorte que nous accordons spontanément plus
d’importance à notre mouvement vers Dieu qu’à sa venue vers nous. Le mouvement
de Dieu vers nous est plus fort que notre élan vers Lui ; n’est-ce pas bouleversant ?
En ce temps de l’Avent, il serait bon de se demander ce que nos attendons
de Dieu. C’est une manière d’être renseigné sur notre connaissance de Dieu.


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