Lectures : Gn 3, 9-15.20; Ephésiens 1, 3-6.11-12 ; Evangile selon saint Luc 1, 26-38
L’Immaculée Conception
Ces mots intimidants s’apprivoisent mieux dans le silence que par des mots, fussent-ils les mieux assurés – ceux du dogme proclamé.
Ces mots bruissent comme l’Evangile, la joyeuse annonce. Ils vibrent d’une joie. Kaire (Réjouis-toi) dit l’ange.
Ces mots, il faudrait les porter, les bercer en son cœur, dans l’étonnement émerveillé, comme la jeune fille de Galilée montant d’un pas allègre vers la montagne de Judée, ou la petite Bigourdane illettrée, marchant de la source improbable et pure jaillie sous ses mains de la boue, envoyée vers une cure de campagne, à l’Eglise des humbles.
Ah si l’Eglise aujourd’hui pouvait boire à la source de ces mots –et c’est pour cela que nous célébrons ce jour !– l’Eglise de Paris et de Rome, et l’Eglise de Bordeaux, et l’Eglise d’ici, et notre petite église d’Acey.
Immaculée Conception : c’est une parole de commencement. Une parole d’origine pour le dire plus justement. Celle qui préside à tous les commencements, à la joie des re-commencements : ce que les pécheurs que nous sommes, appelons l’histoire sainte, œuvre de l’origine plus forte que le péché.
« L’origine » dit l’indisponible rappelait Paul Beauchamp. L’Immaculée Conception en porte le sceau, le sceau de la libre libéralité de Dieu, de l’humble Toute Puissance de Dieu, la gratuité de la grâce, au grand dam de certains théologiens indiscrets et chagrins, épris de raison raisonnante. Aucune raison ne peut épuiser le mystère et nul concept ne s’en saisit. On entre dans ce jardin par la porte de l’humilité, et l’on respire cette beauté ; le palais du cœur, l’intelligence croyante et aimante, y goûte, comme des parfums, ces raisons de convenances et ces correspondances, dont s’enchantaient s. Bernard et les médiévaux.
Immaculée Conception.
Ces mots ne sont pas dans l’Evangile, même s’ils sont d’Evangile, comme un écho émerveillé, une traduction d’au-delà de Pâque pour enfant, pour tout-petit de Marie, qu’elle nous a donnés, par la voix de l’Eglise, un peu engoncée dans le dogme en 1854, et par la sienne à Lourdes, 4 ans plus tard et en patois bigourdan, au jour-même de l’Annonciation : mots-annonce, portés par l’inouï d’un je suis, voix de la Toute-assumée dans la Pâque de son Fils. Car sans la Pâque l’origine est bouchée, inaccessible.
Alors revenons à l’Evangile, faisons-nous petits, entrons dans l’alcôve et ouvrons nos yeux et nos cœurs à la salutation de l’ange. L’ange entra chez elle et dit : je te salue [réjouis-toi] Comblée de grâce/ le Seigneur est avec toi
Notre P. Benjamin se plaisait à collectionner les innombrables représentations de cette scène. Vous avez peut-être dans la mémoire celle du retable d’Issenheim, par ailleurs remarquable, mais dont l’Annonciation ne lasse de m’indisposer. Gabriel apparaît comme un coup de tonnerre dans un grand bruissement d’étoffes qui s’envolent, d’éclat de rouge et d’or. Il impose son message d’un geste impérieux de la main droite, index et majeur réunis, incisifs, appuyés d’un regard autoritaire. Nul dialogue ici, et Marie chancelle sous le coup brutal de l’apparition. Grünewald, le peintre, oublie la délicatesse qui est celle de Dieu même quand il s’arrête sur le seuil de notre liberté, joyau de son acte créateur ; et le couronnement qu’il en espère précisément dans le FIAT de la créature, le OUI de Marie, qui dénoue le mensonge du serpent.
La salutation déférente de l’ange n’est pas feinte, car l’ange familier de Dieu, qui contemple sa face, s’émerveille de découvrir auprès d’une si simple jeune fille, le rayonnement et la présence de Celui qui l’envoie, cette même lumière de gloire, qui atteste la présence du Très Haut, tombé si bas. Le Seigneur est avec toi dit l’ange. Ce qui est vrai du cœur de Marie, cette présence, sollicite à présent l’hospitalité de sa chair, parfaitement accordée à l’advenue du Verbe, correspondance ajustée à la Parole de l’Amour, Don du Père.
Mais ce qui a provoqué le trouble de Marie, c’est ce nom de grâce inouï dans la Bible, le nom source de l’Immaculée Conception : comblée de grâce. Kexaritomène « la Toute grâciée » pourrait-on traduire. Car il faut le redire le mystère de l’Immaculée Conception n’est pas de l’ordre de la préservation, de l’exemption, mais de la plénitude, il est précisément le libre déploiement de la grâce originaire (que chantait l’hymne aux Ephésiens),; sa totale energeia pour le dire avec les catégories d’Aristote et de Thomas. La grâce en Marie, la toute humble, peut se dire au présent de plénitude et être parfaitement grâce, quand nous ne cessons d’y faire obstacle, de la flétrir en prétendant saisir, ou acheter. Sans miroir ni repli, Marie –tout son mérite est là- laisse Dieu être Dieu en elle, au point de pouvoir prêter son je suis au Seigneur de la grâce. Car l’Immaculée Conception est bien un nom divin, un nom de l’Esprit-Saint qui prend sous son ombre de gloire, Marie, « femme revêtu de soleil » de l’Apocalypse.
Le serpent s’est joué de la nudité de l’homme. Notre fragilité, notre pauvreté d’être, qui nous plonge dans la honte, la méfiance, la jalousie, l’angoisse mortifère si nous oublions qu’elle est le lieu et la condition du Don. Marie nous initie au chemin de la FOI. Elle nous apprivoise à Celui qui vient nous revêtir de sainteté, qui nous a faits pour lui, nous revêtir de sa gloire. Il m’a revêtu des vêtements du salut.
Oui, Marie est unique en sainteté, comme elle est unique dans le plan du salut. Non pas qu’elle nous sauve, mais parce qu’elle est comme dit Bernard l’Aqueduc qui donne l’auteur du Salut.
C’est notre mystère qui se révèle en elle. Elle est notre Mère de grâce, pour que la grâce d’Immaculée Conception opère en nous ce qu’elle a accomplie en elle. Lorsque nous sommes dans le trouble, lorsque nous peinons à croire à notre avenir de Lumière, à la merveille que déjà nous sommes aux yeux du Seigneur des anges, regardons Marie, l’Etoile de la mer, et répétons les mots intrépides de l’ange : je te salue, Comblée de grâce, le Seigneur est avec toi, car ces mots sont aussi pour nous.