Homélie pour la Fête du Saint Sacrement (14 juin 2020) par Frère Marie-Bruno

Saint Sacrement – A                                                           Jn 6,51-58

« Le Seigneur ton Dieu t’a fait passer par la pauvreté, t’a fait sentir la faim, et il t’a donné à manger la manne » avons-nous entendu dans la première lecture. La manne qu’ont reçue les hébreux au désert pendant l’Exode qui suivit la sortie d’Egypte est figure de l’Eucharistie, le pain descendu du ciel que nous donne le Père en son Fils. Il est donc légitime d’appliquer à l’Eucharistie la parole de Moïse : « Le Seigneur ton Dieu t’as fait connaître la pauvreté, t’as fait sentir la faim, et il t’a donné à manger l’Eucharistie ».

– L’Eucharistie est d’abord un don de pauvre. Instituée au soir du Jeudi Saint, à l’heure du plus grand Amour qui fut aussi celle de la plus grande pauvreté. Jésus n’a plus rien : plus de foules pour l’écouter, plus d’espoir humain d’un revirement en sa faveur, même plus de disciples fidèles puisque l’un d’eux va le livrer, un autre va le renier et tous les autres vont s’enfuir, incapables de rester aux côtés du Maître dans l’épreuve. Pendant sa vie publique il a donné sans compter son temps, sa disponibilité. Par son enseignement, par ses gestes, il a donné tout ce qu’il avait de plus cher : les secrets du Père, dont il a révélé le visage de miséricorde, révélation qui semble alors n’avoir pas été reçue. Dans l’extrémité dans laquelle il se trouve il est dépouillé de tout, il ne lui reste plus rien, si ce n’est sa propre personne. Et c’est le don ultime qu’il va faire : « Ma vie, nulle ne la prend, mais c’est moi qui la donne« . Don qui dans l’Eucharistie, transcende l’espace et le temps : « Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à l’extrême« . Dans ce don l’Amour dit son nom qui est pauvreté, celle de Dieu même, dans le mouvement trinitaire ou chacune des personnes divines se dépouille d’elle-même pour se donner aux autres. Dans l’Eucharistie nous sommes intégrés à ce mouvement de dépouillement qui porte le Père dans son Fils, le Fils dans son Père et les tient éternellement embrassé dans l’Esprit-Saint.

– L’Eucharistie se déploie dans un pauvre don. Un peu de pain, un peu de vin. Mais comme au jour de la multiplication des pains, alors qu’on vient de lui rapporter qu’il n’y a que cinq pains et deux poissons pour nourrir la foule immense qui se presse à sa suite, Jésus pourrait répondre : « Cela suffit !« . « Cela suffit pour que vous donniez vous-mêmes à manger à cette multitude affamée ». Car d’un peu de pain je peux faire « mon corps livré pour vous« , d’un peu de vin « mon sang versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés« . Pour déployer sa puissance de vie, Dieu se sert de tous les pauvres moyens humains dont nous disposons. A chaque fois que nous présentons nos pauvres offrandes sur l’autel, il faut entendre Jésus nous dire : « Cela suffit ! ». Par la puissance de son Esprit-Saint, Dieu opère le mystère de la consécration et de la transformation des dons eucharistiques, le pain et le vin. Il fait de même avec tout ce que nous déposons avec eux : nos vertus, nos progrès, nos espérance et nos joies, mais aussi nos tristesses, nos angoisses, nos échecs, nos langueurs, nos fatigues. Les nôtres et celle du monde entier, puisque chaque Eucharistie est « une messe sur le monde », pour reprendre les mots du P. Teilhard de Chardin. L’Esprit transforme l’offrande de notre bonne volonté et de notre cœur trop pauvre, dans l’offrande du Christ en qui tout est récapitulé.

– L’Eucharistie est un don fait aux pauvres : elle nous invite à revenir à ce qui est nécessaire et vitale pour nous. La parole et la nourriture y sont données, reçues et échangées. La parole et le pain nous rappellent que nous ne pouvons nous suffire à nous-mêmes. Nous nous recevons d’un Autre et les uns des autres. Nous sommes faits pour recevoir, partager et donner. L’Eucharistie nous invite à prendre la mesure de notre radicale pauvreté pour que la vie partagée de Dieu soit notre unique richesse, une richesse partagée avec Lui et entre-nous, une richesse qui augmente d’autant plus qu’elle est partagée.

Oui, « le Seigneur ton Dieu t’a fait connaître la pauvreté, il t’a fait sentir la faim et il t’a donné à manger la manne« . C’est la reconnaissance de notre pauvreté foncière devant le don de Dieu, devant le salut offert, devant l’Amour livré, qui seule donne un titre à recevoir ce don. Les pauvres de cœur seuls savent, de siècle en siècle, s’émerveiller devant la richesse de ce don, qui n’apparaît que sous un peu de pain et de vin, et entrer dans un authentique acte d’adoration.


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