Homélie pour le Jeudi Saint (9 avril 2020) par Frère Marie-Bruno

«Alors il se mit à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture  ». «  Il prit le pain, le bénit, le rompit et le fit passer à ses disciples  ». Quel contraste entre ce que les circonstances présentes exigent de nous  : ne pas toucher, ne pas se toucher, pour ne pas propager la maladie, peut-être même la mort. Et ce que nous célébrons ce soir, où la guérison, la vie sont offertes à celui qui se laisse toucher par Jésus. «  Si je ne te lave pas, si tu ne te laisses pas toucher par moi, tu n’auras pas de part avec moi  ».

La définition a minima d’un sacrement est  : un geste qu’une parole accompagne. Il n’y a donc pas de sacrement sans intervention des mains. Tout à l’heure nous dirons dans la prière eucharistique  : «  il prit le pain dans ses mains très saintes  ». Il ne faut pas seulement voir là le style un peu chargé propre au canon romain, mais l’invitation à regarder les mains de Jésus. Ces mains qui se sont confrontées à la matière dans l’atelier de Joseph, qui ont bénis les enfants, qui ont fait de la boue pour guérir les yeux de l’aveugle-né. Ces mains crucifiées, tétanisées par l’extrême douleur, qui s’offrent à notre regard en signe d’un Dieu désarmé. Ces mains qui gardent à jamais la marque des clous pour porter au cœur même de la Trinité la preuve de jusqu’où l’amour de Dieu peut aller.

Ce soir ce sont ces mains qui vont poser des gestes qui, depuis 2000 ans, sont réitérés en Église  : «  vous ferez cela en mémoire de moi  ». Et qui sont instinctivement, pour la conscience collective, le marqueur de l’identité chrétienne. Pour tous, les chrétiens ce sont les «  talas  », ceux qui vont à la messe. «  Le christianisme, disait le pape Benoît XVI dans une homélie, n’est pas une sorte de moralisme, un simple système éthique. Ni notre action ni notre capacité morale n’en sont à l’origine. Le christianisme est avant tout un don :  Dieu se donne à nous – il ne donne pas quelque chose, mais Il se donne lui-même.  ».

C’est cela qui justifie la centralité de l’Eucharistie, lieu par excellence ou Dieu se donne, pour la vie chrétienne.

Dieu qui se donne à nous, mais jamais sans nous. Dieu ne donne jamais de haut, comme par condescendance. Pour se donner à nous Dieu veut passer par les réalités humaines avec lesquelles il est définitivement lié par l’alliance de l’Incarnation. Il prit du pain, il prit du vin, fruit de la terre, fruit de la vigne et du travail des hommes. La nature, don de Dieu, transformée par les mains de l’homme, devient la médiation par laquelle Dieu se livre à nous. Chaque Eucharistie est ainsi l’expression de cette circularité du don où tout ce qui a été confié à l’homme lui est redonné transformé, transfiguré par la présence de l’Esprit qui fait toute chose nouvelle. Et cette circularité, où il n’y rien qui n’est donné qui ne soit d’abord reçu, s’accomplit par le jeu de nos mains. De l’offertoire, où les mains des fidèles apportent dans les mains du prêtre le pain et le vin, à la communion où les mains du prêtre déposent dans les mains des baptisés le Corps et le Sang du Christ, en passant par la consécration où les mains étendues appellent la venue de l’Esprit et la fraction qui voit les mains rompre le pain pour tous, ce sont nos mains qui vont être le canal par lequel va s’opérer le don du plus grand Amour, d’un Dieu qui se donne lui-même.

Nos mains, celles de Jésus. Celles qui font eucharistie sont les mêmes que celles qui lavent les pieds. Chaque Eucharistie consacre nos mains pour le service, pour l’œuvre quotidienne, souvent humble et cachée par laquelle nous participons, à notre petite mesure à l’avènement du Royaume (béni soit le confinement qui nous le rappelle !) Jusqu’au jour de l’éternelle Eucharistie, quand le Fils et l’Esprit, que St Irènée appelle les mains du Père, auront porté à son achèvement toute la Création qu’ils feront entrer dans la plénitude de la vie Trinitaire, où tout n’est que don et accueil, ce pour quoi sont faites nos mains très saintes.


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