Fête de Saint Joseph * 2 Sam. 7, 4-16 19 mars * Rom. 4, 13-22 _____ * Luc 2, 41-51 ________
Au commencement du concile Vatican II, un évêque yougoslave se lève, poussé par l’Esprit du Seigneur, et fait remarquer que Saint Joseph est trop laissé de côté dans l’enseignement de l’Église. Cette réflexion provoqua un éclat de rire général. Ainsi donc, on avait fait venir des évêques du monde entier pour de pareils propos ! Comme le rire de Sara derrière la tente d’Abraham, ce rire est entré dans l’Histoire, peut-être est-il monté jusqu’au trône du Très-Haut. La réponse ne s’est pas faite attendre. Le lendemain, le cardinal Cicognani, parlant au nom du Pape, annonça que le Saint Père avait décidé d’introduire Saint Joseph dans le canon de la messe romaine. C’était un geste audacieux, car ce canon était immuable depuis des siècles, depuis le Pape Pie V ; c’est dire que c’est vraiment vieux ! Mais Jean XXIII exprimait par là le fond de son coeur. Il avait mis le concile entre les mains de Saint Joseph le 19 mars 1961, au cours d’un beau discours. Celui qui commence à être introduit au mystère de Joseph comprend assez vite un point essentiel. Il entrevoit que Marie a un rôle à jouer, des plus importants, dans la découverte de Joseph. N’est-ce pas elle qui met directement Jésus lui-même sur un chemin nouveau, quand elle dit : « Ton Père et moi, nous te cherchions ? » Étonnante parole qui est l’objet d’une sorte de trajet spirituel ; à la suite de cette parole, Jésus va accepter une déconcertante descente. Que signifie cette parole ? Jésus lui-même semble ne pas l’avoir acceptée du premier coup. A partir de cette parole, toute la personne de Jésus va comme basculer d’un point haut et splendide vers un point bas et minable, en apparence, où son Père l’attend, où son Père le veut, pendant tant d’années. Tout se passe comme si Marie aidait Jésus à choisir pour formateur, de préférence aux savants du Temple, Joseph le charpentier de Nazareth. L’aspect le plus saisissant, le plus inconnu de la volonté du Père est cette rencontre, dont Marie est la clé, entre Jésus et celui qu’elle nomme son père, à qui désormais tout va être soumis. C’est en Joseph que le Père de qui vient toute paternité au ciel et sur la terre, va déposer son autorité. On ne peut s’empêcher de penser que cette descente de Jésus, s’arrachant au Temple, n’ait été profondément douloureuse. Jésus, comme Abraham, quitte, lui aussi, son pays et la maison de son père, pour descendre dans une sorte d’abjection, de silence et d’anonymat. Joseph est comme un moniteur de l’acte de mourir à la manière du grain de blé. Il donne, sans le vouloir, un tour concret à cette descente vécue par Jésus au cours de son Incarnation. Jésus quitte l’ancienne Jérusalem qui ne cessera de dériver vers des perspectives de plus en plus dangereuses. Par sa présence et son rayonnement, il fait de la maison de Joseph la Nouvelle Jérusalem, le monde caché sous d’humbles apparences. Ces deux mondes, l’ancienne et la Nouvelle Jérusalem, s’écartent l’une de l’autre, progressivement, comme deux continents. Ainsi, Jésus a reconnu à l’âge de douze ans que son Père voulait qu’Il demeure à l’ombre de Joseph, ce père que Marie lui désigne. Tout de suite après, l’Évangile nous dit « qu’Il grandissait. » Mais Joseph, lui aussi, grandissait. Il grandissait dans de telles proportions que son mystère échappait complètement aux cadres de la pensée humaine. Comment le connaître alors ? Certainement pas par des démarches rationnelles, comme celles des théologiens. Seule l’union au Christ peut apporter graduellement, modestement, simplement des éléments de réponse. C’est en Jésus seulement, guidé par Marie, que l’on peut tenter de parler de Joseph. Joseph a joué un rôle déterminant dans la vie de Jésus sans que cela se voit. Voyons cela de près ! Après la scène capitale de Jésus au temple, Joseph disparaît en même temps que Jésus et Marie, ou plutôt, Jésus et Marie disparaissent grâce à lui. Il est effacé et, en même temps, il efface. Il est caché et il cache. Jésus va croître étonnamment entre les mains de Joseph, en sagesse, en taille et en grâce. Joseph a autorité pour cela. Mais, à vrai dire, la première réalité qui frappe, à son propos, c’est bien un certain art de soustraire. Il soustrait l’Incarnation aux regards. C’est avec bonheur que j’ai retrouvé un écrit de Bossuet où il dit cela magnifiquement : « Les apôtres sont des lumières pour montrer le Christ au monde ; Joseph, lui, est un voile pour le couvrir, et sous ce voile on nous cache la virginité de Marie et la grandeur du Sauveur. » C’est magnifique ! Cacher, couvrir, retrancher, en arrachant à un monde hostile cet enfant que le Père lui confie, voilà la première impression forte que nous fait l’Évangile, quand nous y cherchons Joseph. Mais n’oublions pas l’essentiel. Surpris par les événements, Joseph était prêt à se séparer, combien douloureusement, de cette petite fiancée, unique en son genre, qu’il connaissait sans doute depuis longtemps et qui devait lui inspirer l’amour que l’on devine. Comment pouvait-il, lui, le pauvre homme, être mêlé à des circonstances qui le dépassent complètement, où il pressent le doigt de Dieu ? Ce drame et les souffrances torturantes qui l’accompagnaient, sans doute, sont l’occasion pour Saint Matthieu d’une étonnante révélation : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint. » L’Esprit Saint, voilà donc Celui qui a tant changé Marie ! Tout ce que l’Église pourra faire, c’est de comprendre progressivement le sens de ce verset qui contient tout: l’Esprit Saint engendre le corps du Christ en Marie, mais Marie doit habiter chez Joseph. Il est significatif que Joseph se préparait à dire « non » à un mystère qui le dépassait et dont il se sentait indigne. Dieu l’invite à dire silencieusement, avec tout son être, un « oui » qui retentit dans l’éternité et dont la portée est considérable comme tout ce qui touche directement à l’Incarnation. Marie et Joseph, quand on les écoute comme Jésus l’a fait à Nazareth, font franchir des étapes comme les professeurs donnent à leurs élèves des devoirs de plus en plus difficiles. La descente de Jésus à Nazareth est le prélude d’un long chemin d’abaissement. Un jour, symboliquement, il vivra devant ses apôtres sidérés cette descente au moment le plus solennel de son existence, au moment de la Cène où il va tomber comme un esclave aux pieds de ses disciples pour leur laver les pieds. Oui, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur la croix. Marie veut nous faire connaître, de la part de Dieu, celui qui est le secret moniteur de cet abaissement, son époux Joseph ! Lors de sa Passion, Jésus va vivre ce qu’il a longtemps appris avec Joseph: le respect des Écritures et l’acceptation totale de sa condition d’homme, telle qu’il l’a vécue à Nazareth. Joseph a aidé, par là, Jésus à mourir comme un homme. C’est extraordinaire ! Y aviez-vous déjà pensé ?