Abbaye Notre-Dame d’Acey, dimanche 3 mars 2019
8ème dimanche ordinaire – année C – 2019
Ben Sira le Sage 27, 4-7 I Corinthiens 15, 54-58 Luc 6,39-45 Homélie de F. Jean-Marc
«Hypocrites ! » C’est ainsi que Jésus qualifie souvent les pharisiens et les responsables religieux d’Israël, les tenants d’une religion figée et étouffante.
« Hypocrites ! » Un terme cependant à bien entendre pour ne pas nous tromper sur ce que Jésus dénonce avec l’emploi de cette expression choc.
Aujourd’hui, traiter quelqu’un d’hypocrite, c’est affirmer qu’il est menteur, faux jeton, qu’il fait semblant ou joue double jeu. Jésus a d’ailleurs lui-même dénoncé de tels comportements chez certains de ses opposants : « Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. »
Mais ceux que vise Jésus avec ce qualificatif d’hypocrite étaient pour la plupart des gens sérieux dans leur engagement et cohérents dans leur pratique avec leurs convictions religieuses. Un bon exemple nous est donné en la personne du futur saint Paul, lui qui, avant sa rencontre du Christ sur le chemin de Damas, se glorifiait d’avoir reçu une éducation strictement conforme à la Loi de ses pères et d’avoir pour Dieu une ardeur jalouse qui lui donnait de surpasser par son zèle la plupart de ceux de son âge et de sa race.
Pour bien comprendre ce que Jésus dénonce, il nous faut revenir à l’origine de l’usage du terme « hypocrite ». Dans l’Antiquité grecque on désignait ainsi les acteurs de théâtre qui portaient un masque sur scène pour jouer un rôle et se mettre dans la peau d’un autre.
Et c’est bien cela que Jésus vise en traitant ses opposants d’hypocrites. Il ne leur reproche pas de faire semblant, mais, en toute bonne conscience et avec une forte conviction, de jouer un rôle : rôle social, rôle religieux… au détriment de leur propre vérité. C’est ainsi qu’ils se forgent un personnage et deviennent prisonniers de l’image qu’ils se sont créés et qu’ils font valoir aux yeux des autres. Rappelez-vous la dénonciation de Jésus : « Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. » (Mt 23, 4-7)
Ainsi, bien plus que le fait de faire semblant ou de mentir sciemment, ce qui est grave et a de profondes répercussions sur notre propre personnalité et notre relation à Dieu et aux autres, c’est d’endosser, comme le comédien sur scène, une identité autre. Et donc de n’être plus nous-mêmes, d’être aliénés.
Jésus, par contre, veut nous libérer de toutes ces fausses identités qui nous défigurent et nous empêchent d’entrer dans une relation juste et vraie avec nous-mêmes, avec Dieu et avec les autres. Il nous appelle donc à vivre une conversion !… Le Carême tout proche va nous donner la chance de vivre une telle démarche pour libérer notre cœur.
- Sans une telle conversion de notre cœur et de notre mentalité, nous ne pourrons être que des aveugles, incapables de guider les autres et de leur être utile : « Un aveugle peut-il guider d’autres aveugles ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? »
- Sans cette conversion de notre cœur et de notre mentalité nous ne pourrons que nous comparer aux autres et donc les juger : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas (…) Hypocrite ! Enlève d’abord la poudre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère. »
- Sans cette conversion de notre cœur et de notre mentalité nous ne pourrons être ce bon arbre qui porte de beaux fruits de justice, de bonté, de miséricorde et de paix.
Frères et Sœurs, le Seigneur n’attend pas de nous que nous soyons parfaits, impeccables (ce qui ne se peut dans la condition humaine qui est la nôtre). Mais il nous appelle à devenir nous-mêmes, c’est-à-dire à entrer dans la vérité de ce que Dieu veut pour nous et qui est bien plus beau que tout ce que nous pouvons imaginer… et c’est un long et lent travail qui demande toute une vie.
Et cela commence par l’acceptation simple et joyeuse mais aussi de nos pauvretés et limites, de nos blessures et déviances… comme de nos richesses. Et, dans cette attitude de consentement, nous en remettre jour après jour, heure après heure, quoi qu’il advienne, en toute confiance à la miséricorde du Seigneur qui, par son Esprit Saint, veut réaliser en nous infiniment plus que tout ce que nous pouvons imaginer ou même désirer.
C’est bien de résurrection qu’il s’agit là ! Oui, processus de Résurrection qui, comme nous le disait saint Paul dans la seconde lecture, arrache notre être mortel à l’emprise du péché pour nous revêtir de l’immortalité.
Dans la joyeuse certitude d’être ainsi les uns les autres, et tous ensemble, bénéficiaires d’une telle grâce, il nous faut dès maintenant rendre grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ.
« Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, soyez inébranlables, prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n’est pas perdue. »
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