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ABBAYE NOTRE-DAME D’ACEY (39350 VITREUX)
Les frères de l’Abbaye vous font part du décès de
Dom HERVÉ
(Henri Briand)
Abbé émérite
survenu ce dimanche 26 août 2018,
dans la 92e année de son âge
la 67e de sa profession monastique
et la 64e de son sacerdoce.
Dom Hervé est né le 14 janvier 1927 à Réguiny en Bretagne (Morbihan) village proche de l’abbaye cistercienne de Timadeuc où il entre le 2 septembre 1949. Il fait profession monastique pour la Toussaint 1951 et est ordonné prêtre en 1955. De 1960 à 1962 il est à Rome comme étudiant en Ecriture-Sainte à l’Institut Biblique Pontificale.
Il sera délégué à la formation pour notre Ordre en France, cheville ouvrière des premières sessions de formateurs – formatrices et de celles de jeunes moines et moniales.
Nommé supérieur d’Acey en 1984, il en sera l’abbé de 1986 à 2002.
Son abbatiat sera marqué par son enseignement (courtes homélies quotidiennes, chapitres substantiels), la rénovation de notre liturgie, la restauration quasi complète de notre monastère et l’aménagement de notre environnement.
Il s’investira aussi beaucoup dans la vie de notre Ordre et la promotion du patrimoine spirituel cistercien.
Après sa démission pour raison d’âge, c’est par sa plume qu’il continuera de contribuer à cette cause et il assurera le service de portier tous les après-midi jusqu’à ce que son état physique ne le lui permette plus.
Au printemps dernier il intégra l’infirmerie où il vient d’achever son pèlerinage terrestre.
Veillée de prière à l’Abbaye d’Acey du lundi 27 août 2018
Évocation de la vie de Dom Hervé Briand
Henri Briand est né le 14 janvier 1927 à Réguiny en Bretagne (Morbihan), seul garçon après trois filles (toutes trois déjà décédées). Le papa était instituteur et directeur d’école, la maman couturière à domicile.
Henri suivi les traces de son père et devint, à 20 ans, instituteur et directeur d’une école privée à Vannes. Expérience professionnelle brève puisque deux années plus tard, à l’âge de 22 ans, il entre, le 2 septembre 1949, à l’Abbaye cistercienne de Timadeuc, toute proche de son village natal et donc qu’il connaissait bien.
Il y fait profession monastique pour la Toussaint 1951 et est ordonné prêtre en 1955. De 1960 à 1962 il est à Rome comme étudiant en Ecriture-Sainte à l’Institut Biblique Pontifical. Période studieuse et stimulante qui, au contact de maîtres éminents, tels les pères jésuites Stanislas Lyonnet et Ignace de la Potterie, lui permit d’acquérir une grande rigueur intellectuelle. En plus de sa connaissance des langues bibliques, il manifesta un grand intérêt pour la tradition syriaque.
De retour à Timadeuc, P. Hervé travailla à la fromagerie et participa activement aux travaux de construction du monastère de la Joie Notre-Dame, à Campénéac, que les moines de Timadeuc édifièrent pour leurs sœurs moniales. Des années plus tard, c’est lui encore qui dirigea avec compétence le gros chantier de rénovation de l’hôtellerie de Timadeuc.
Mais c’est surtout dans le domaine de la formation que sa communauté bénéficia de ses compétences avec des conférences et les cours d’Ecriture Sainte qu’il donna aux jeunes moines.
A partir de 1971, il se rend à plusieurs reprises auprès de nos sœurs de La Coudre (Laval) pour la préparation, avec Mère Monique, de séminaires destinés aux moniales. Puis pendant 10 ans, de 1974 à 1984 (date de sa nomination comme Supérieur d’Acey), il est présent presque tous les mois à Laval pour les cours d’Ecriture Sainte à la communauté.
Ce ne sont cependant pas seulement les communautés de Timadeuc et de Laval qui profitèrent des connaissances de P. Hervé, puisqu’il sera nommé délégué à la Formation pour notre Ordre en France et, de ce fait, cheville ouvrière des premières sessions de formateurs – formatrices et de celles de jeunes moines et moniales.
Nommé supérieur d’Acey en 1984, il en fut élu le 42e abbé le 1er février 1986 et reçut la bénédiction abbatiale, le jeudi 3 avril, des mains de Mgr Gilbert Duchène, évêque de Saint Claude. Dom Hervé sera le pasteur de notre communauté durant 18 années.
Son abbatiat sera marqué par la rénovation de notre liturgie, la restauration quasi complète de notre monastère et de l’hôtellerie ainsi que l’aménagement de notre environnement. Comme à Timadeuc, Père Hervé montra qu’il avait beaucoup de goût et réalisa des choses belles et simples.
La fête de la consécration de notre église, le 17 septembre 2002, fête à laquelle P. Hervé tenait beaucoup, fut comme l’aboutissement de tous les travaux qu’il avait entrepris. Parmi eux P. Hervé aurait certainement donné la première place aux verrières de notre abbatiale réalisées par Jean Ricardon, et dont il était très fier.
Mais ce n’est pas seulement dans le domaine matériel que P. Hervé déploya son zèle. Il veilla à donner à la communauté un enseignement régulier par de courtes homélies quotidiennes et des chapitres substantiels. Il relança la lecture régulière communautaire de Carême et stimula les frères à se réapproprier le scriptorium où lui-même se rendait tous les matins après Vigiles et souvent avant Tierce.
Comme abbé il s’investira de nouveau beaucoup dans la vie de notre Ordre et la promotion du patrimoine spirituel cistercien. Ce qui l’amena, entre autre, en tant que président de la Conférence Régionale (CNE), à effectuer de nombreux voyages en France et en Europe… jusqu’en Hongrie où, malgré le rideau de fer, il put recréer des liens entre notre abbaye et le monastère de Pilis fondé par Acey.
Il devint directeur de la revue « Cîteaux ». Dom François de Place lui rend cet hommage : « Il attacha une grande importance aux relations avec nos frères de l’autre l’ordre cistercien (l’OCist) et aurait aimé une vraie collaboration avec eux dans le domaine de la recherche. Ceux et celles qui ont collaboré avec Dom Hervé ne sont pas près d’oublier l’intérêt et le dévouement qu’il a témoignés avec une grande fraternité pendant de nombreuses années. »
Puis ce fut la grande aventure du neuvième centenaire de la fondation de l’Abbaye de Cîteaux en 1998. Il s’y investit avec passion, collaborant très activement à son programme et à sa réalisation. Ce fut l’occasion pour lui de nouer de solides amitiés. Ainsi avec P. Placide de Cîteaux (lui-même décédé ces derniers jours), et avec qui il prit part également à la naissance et au développement de l’ARCCIS (Association pour le Rayonnement de la Culture CIStercienne). Père Hervé fut aussi très actif dans l’Association internationale de La Charte des Abbayes où sa présence fut ressentie comme très précieuse par beaucoup de propriétaires de sites cisterciens.
Dans un tout autre domaine, P. Hervé s’intéressa fortement au renouveau liturgique initié par le Concile Vatican II. A plusieurs reprises il fut sollicité à l’extérieur d’Acey pour apporter son témoignage et donner un enseignement à d’autres communautés.
Enfin, il collabora aux premières sessions de formation inter-monastères qui concernent tout le monde monastique, et il fut ensuite un soutien convaincu du STIM (studium créé pour la formation des moines et moniales étudiants).
Après sa démission, en 2002, pour raison d’âge, P. Hervé ne resta pas inactif puisque on lui demanda de travailler plusieurs mois aux archives de notre Maison mère d’Aiguebelle.
De retour à Acey, il assura le service de portier tous les après-midi jusqu’à ce que son état physique ne le lui permette plus. Il accompagna aussi des laïcs désireux de vivre de notre spiritualité cistercienne.
Au printemps dernier il intégra l’infirmerie où il vient d’achever son pèlerinage terrestre.
Pour conclure cette évocation, voici ce que Dom André Barbeau, qui fut l’abbé de notre maison mère d’Aiguebelle, vient de m’adresser :
Je garde plein de bons souvenirs de Dom Hervé, de son abbatiat, de sa solidité et de sa stabilité, de son enseignement et de sa générosité, de son séjour de 6 mois à Aiguebelle à la fin de son abbatiat. Au moment de sa démission, plusieurs croyaient qu’il retournerait à Timadeuc et ne soupçonnaient pas à quel point il aimait les lieux et les frères d’Acey. Une timidité jamais vraiment surmontée l’empêchait de laisser voir la chaleur de son cœur ; il en était conscient et en souffrait car il savait que cela touchait les frères. Il aimait le beau et a su bien mettre cette beauté en relief dans les bâtiments monastiques. À deux reprises, j’ai aussi pu apprécié particulièrement le sens pastoral qu’il a déployé dans des interventions que je lui avais demandé de faire auprès de frères qui traversaient un moment difficile. À 92 ans, il remet son tablier au terme d’une vie bien remplie.
Que Dieu l’accueille maintenant à la Table des noces dans sa maison d’éternité.
* * *
Abbaye d’Acey, mardi 28 août 2018
Sépulture de Dom Hervé (Henri BRIAND)
Après une longue vie généreusement donnée au Seigneur, à ses frères et au service de notre Ordre et du monde monastique, Dom Hervé, moine simple et vrai au caractère trempé de breton et au tempérament de chef, a donc terminé sa course et vécu sa Pâque dans la lumière du dimanche, Jour de la Résurrection du Seigneur.
Si certains ont ressenti la rugosité d’une personnalité secrète peu portée à exprimer ses sentiments, beaucoup gardent un excellent souvenir de son côté affable au regard pétillant, de son humour et de son dynamisme. Esprit bien formé, lucide et engagé, il était bon de le fréquenter.
« Seigneur, à qui irions-nous ? » si tu n’étais le Vivant qui nous entraînes en ta Vie…
Nous te rendons grâce pour ce qu’il a été pour nous comme frère, comme père, comme ami, et pour tout ce que nous avons reçu par lui.
C’est pour lui – et pour nous, pécheurs – que nous implorons ta miséricorde, Toi qui ne peux décevoir ceux qui comptent sur Toi.
Homélie (de P. Jean-Marc) 1ère lecture : Romains 8, 31b-35. 37-39 Evangile : Jean 17, 1-3.24-26
Dans un texte splendide la poétesse Marie Noël présente l’existence humaine comme un grand cycle : « Le chemin que l’homme tout nu avait pris en venant au monde et qu’il avait monté d’année en année jusqu’au milieu de sa vie, d’année en année il le descendra pour revenir tout nu à son point de départ. »
Beauté de l’expression poétique et justesse des images ! Ces mots me semblent bien convenir pour notre P. Hervé lorsque ces dernières semaines nous constations, témoins impuissants, la sape de la maladie en lui : « Un peu plus, chaque jour, il avait amassé dans sa mémoire toutes sortes de sciences ; elles s’échapperont de sa mémoire chaque jour un peu plus… ses mains étaient devenues adroites, sa langue habile ; ses mains deviendront maladroites, sa langue pauvre, embarrassée, chaque jour un peu plus. »
Mais en fait ce lent et inexorable travail du temps, que chacun de nous a pu tant de fois percevoir chez les personnes âgées, n’est pas un retour au point de départ comme le prétendent tant de nos contemporains influencés par des doctrines d’origine orientale prônant la réincarnation. Bien que Marie‑Noël ait elle‑même parlé de retour au point de départ son poème affirme très clairement que ce n’est pas de cela qu’il s’agit : « Un jour, avant tous ses jours, l’homme était sorti de son père comme une petite graine de vie ; un jour, après tous ses jours, il rentrera dans le Père des pères pour être engendré de nouveau à la vie éternelle. »
Nous naissons tous de la chair et du sang, du désir et de la rencontre d’un homme et d’une femme. Mais notre existence, longue ou brève, heureuse ou affligée, ne revient jamais à la case départ. Elle est chemin de vie (souvent aussi chemin de croix et de pleurs), qui nous conduit vers un au‑delà de cet univers créé, vers une destinée éternellement bienheureuse. Nous sommes le fruit d’un Amour infiniment plus grand et plus fidèle que celui de nos parents, nous eussent‑ils vraiment désirés et aimés.
Que des incroyants puissent justifier la vie humaine par le seul fait d’être un élément dans l’immense enchainement des générations, une pierre anonyme pour la construction de l’édifice appelé « Humanité », ne nous satisfait guère. Instinctivement nous nous sentons appelés à une oeuvre autrement plus respectueuse de notre histoire personnelle et du réseau de relations et de solidarités qui s’y trouvent rattachées.
Et puis, ce mystère de la souffrance qui nous atteint tous mais se déchaîne chez certains avec une virulence scandaleuse, n’engendre‑t‑il donc qu’un immense gâchis à supporter avec fatalité ?… Saint Paul, dans le passage de sa lettre aux Romains que nous avons entendu en première lecture, parle bien des souffrances du temps présent, de la dégradation inévitable de la création et de nos personnes (il n’escamote rien de la réalité si souvent terrible et déshumanisante). Mais, en tant que croyant, il oriente notre regard vers des horizons que notre cécité spirituelle nous empêche la plupart du temps de voir. Ces souffrances, que nous aurions tendance à considérer comme une amputation, un anéantissement, il les compare aux douleurs d’un enfantement. Il y a bien douleur, mais c’est pour la vie ! Il y a bien dégradation, mais pour permettre le lent travail de germination et de fructification de la Vie nouvelle et éternelle à laquelle notre Dieu et Père nous destine et pour laquelle il nous prépare : « Nous crions en nous‑mêmes notre souffrance, mais nous attendons notre adoption et la délivrance de notre corps. » Mais qu’est‑ce qui permet à St Paul d’affirmer cela ?
« Nous avons commencé par recevoir l’Esprit Saint. » C’est parce que l’Apôtre Paul perçoit dans nos vies la mystérieuse présence de l’Esprit de Dieu qu’il peut alors se faire si affirmatif sur la signification réelle de nos existences.
L’Esprit Saint, nous avons bien du mal à repérer sa présence en nous !… Mais nous pouvons le voir à l’œuvre dans les autres… nous qui avons bénéficié ou bénéficions de l’aide réconfortante d’un proche ou d’un inconnu… et nous qui gardons au cœur une profonde reconnaissance envers P. Hervé.
Le mal, sous toutes ses formes, qui ronge et défigure si cruellement notre monde ne peut gommer tout le bien qui se réalise, même s’il est infiniment plus discret et secret. Et ce « bien« , que des montagnes de méchanceté, d’égoïsme, de haine et de peur semblent submerger (comme une hideuse marée noire), n’a pas son origine en nous, mais en Celui qui est la Source de toute Vie et de tout amour.
C’est cela la Vie éternelle dont parle Jésus dans l’Evangile de cette Messe : « La Vie éternelle, c’est de te connaître, toi le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus‑Christ. » Connaissance, oh non pas comme une démarche intellectuelle, un savoir abstrait aussi vite oublié qu’appris, mais rencontre vitale, communion cordiale, savoureuse à l’image de ce que peut être la relation la plus intime et la plus réussie d’un couple. Je ne connais pas Dieu d’abord par la tête mais par le cœur, par tout mon être, avec toutes mes capacités, mes énergies, mon désir comme me le demande la première parole du Décalogue transmise par Moïse et reprise par Jésus : « Tu aimeras (synonyme de « tu connaîtras ») le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence. » Une communion qui renouvelle toutes les perspectives puisqu’elle nous établit déjà dans une paix que le monde ignore et qu’il est bien incapable d’offrir.
Ce dont Ste Elisabeth de la Trinité, à laquelle P. Hervé faisait souvent référence, a su si bien su mettre en lumière comme une source inépuisable d’émerveillement. « Demeurer en Dieu », c’est cela la Vie éternelle ! Une vie éternelle déjà présente en nous dès notre baptême, mais qui devient effective et rayonnante chaque fois que nous optons pour l’amour, chaque fois que nous agissons en artisans de réconciliation, de paix et de justice.
Comme il serait dramatique de ne penser à cette Vie éternelle qu’au terme de notre cheminement terrestre et de demeurer étranger à cette Source d’eau vive qui sourd en nous, à ce Monde nouveau auquel le Seigneur nous convie dès aujourd’hui.
Teilhard de Chardin disait : « Mes aspirations profondes sont toutes orientées vers cette montée mystérieuse de l’être vers Celui qui seul peut le satisfaire, à travers cette charité multiple, déroutante et captivante toute à la fois, de l’amour de Dieu et du prochain. »
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