Homélies pour les 3e et 6e dimanche ordinaire année B par Dom Jean-Marc

 

6ème dimanche ordinaire – Année  B – 2018

Journée mondiale des malades

 

Lévites 13, 1-2.45-46       I Corinthiens 10, 31 – 11, 1       Marc 1, 40-45      Homélie de P. Jean-Marc

 

S’il est une réalité omniprésente dans les Évangiles, c’est bien la maladie, ou plutôt les malades – des hommes, des femmes, des enfants – atteints dans leur corps ou dans leur psychisme. Il est vrai que depuis que l’humanité existe et jusqu’à aujourd’hui, où la médecine a fait pourtant d’immenses progrès, les problèmes de santé ne sont en rien éliminés. Épidémies, cataclysmes, accidents, handicaps physiques et mentaux, dépressions sont des phénomènes universels qui font souffrir et provoquent souvent la désespérance.

Mais si les Évangiles mettent en scène si souvent des personnes atteintes dans leur corps ou leur psychisme, c’est parce que la maladie est le symptôme, la manifestation, d’un mal non visible mais plus profond : le péché.

Non pas que le malade soit plus pécheur que le bien-portant. Rappelez-vous ce que Jésus a répondu à la question des disciples : « Rabbi qui a péché, lui où ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » — « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. » (Jn 9, 2-3) Mais le malade porte en lui les conséquences d’un désordre de la création – création que Dieu a pourtant voulu belle et bonne, mais qui est blessée, défigurée : « La création, livrée au pouvoir du néant, attend la révélation des fils de Dieu… la libération de l’esclavage du péché. » (Rm 8, 19)

C’est pourquoi Jésus, qui est venu parmi nous pour libérer l’humanité de ses entraves, de tout ce qui la défigure pour l’entraîner jusqu’au Père, ne pouvait pas ne pas se confronter avec la maladie.

Jésus, au cours des premiers mois de son ministère, alors que les foules l’assaillent, ne cesse de réconforter, de purifier, de guérir. Succès garanti, mais ambiguïté redoutable car le risque est de se focaliser sur le merveilleux et de ne considérer Jésus que comme un thaumaturge. Mais Jésus n’est pas venu parmi nous pour exercer la fonction de guérisseur. Il est venu pour nous manifester la compassion de Dieu, sa solidarité avec les pécheurs et la puissance de son salut. Ainsi, dans l’épisode de ce dimanche, Jésus, au lieu d’être lui-même contaminé en touchant le lépreux (considéré comme impur et donc exclu de la communauté), guérit et réintègre. Ce à quoi l’Évangile veut nous amener, c’est d’avoir foi en Jésus envers et contre tout.

Mais allons-nous lui faire confiance alors que notre prière pour les malades semble le plus souvent n’avoir aucun effet tangible : « J’ai tant prié et rien ne s’est passé ! »

Mais notre relation au Seigneur Jésus ne peut dépendre de résultats tangibles ni relever de critères d’efficacité, car elle est fondée sur la gratuité de l’amour. Pour reprendre le mot de Saint Bernard : « J’aime parce que j’aime » et non pas pour le bénéfice que j’en tire. Il est vrai que beaucoup, déçus dans leur attente, arrêtent de prier et renoncent même à toute relation avec Dieu.  C’est ici qu’il faut entendre la parole de Jésus : « Quand le Fils de l’Homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

C’est vrai que nous sommes des hommes et des femmes de peu de foi. Et c’est bien cela notre drame ! Et pourtant, nous qui avons la chance de connaître le Seigneur Jésus, de nous nourrir de sa Parole et de son Pain de vie, d’être renouvelés jour après jour dans le bain de sa miséricorde, notre confiance en lui n’est pas une illusion. Nous ne serons peut-être pas exaucés comme nous le voudrions, mais au plus profond de nous-mêmes nous ressentons le réconfort d’une présence qui console et nous donne la force de poursuivre notre route.

Nous ne croyons pas en une divinité qui, comme par magie, nous préserverait des épreuves de la vie, mais en Dieu notre Père qui, en Jésus-Christ, est allé jusqu’au bout de l’amour en partageant nos existences de peines et de larmes, en prenant sur lui nos blessures et nos détresses. Ce que Saint Matthieu souligne avec force en citant le prophète Isaïe : « Il a pris nos souffrances, il a porté nos maladies. » (Mt 8, 17) Comme l’affirmait un grand malade : Dieu ne me délivre pas de moi-même. Il me délivre de la lassitude et du dégoût de moi-même.

C’est en puisant au plus profond de cette source vive qu’est l’Amour du Seigneur que beaucoup de souffrants (malades et personnes âgées) témoignent d’un courage et d’une paix qui dépassent leurs seules capacités humaines.

C’est en puisant au plus profond de cette source vive qu’est l’amour du Seigneur que nous-mêmes nous pouvons nous ouvrir à la compassion du Christ et, par la puissance de son Esprit Saint, soutenir, réconforter nos frères et sœurs qui peinent et qui souffrent.

Nous serons alors en mesure de goûter la joie promise par le Seigneur à ceux qui, renonçant à leur propre intérêt, cherchent à se faire tout à tous. (cf. 2ème lecture : I Co 10, 33)

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Acey, le 21 janvier 2018

 

Homélie pour le 3ème dimanche du Temps Ordinaire —  B

Jonas 3, 1-5.10     I Corinthiens 7, 29-31      Marc 1, 14-20          Homélie du P. Jean-Marc, abbé de N-D d’Acey

 

« Ne sais-tu pas que les jours de cette vie te sont donnés pour te convertir ? »

Voilà l’avertissement que Saint-Benoît adresse au moine dans le prologue de sa Règle. En parlant ainsi il est bien sur la même longueur d’onde que St Paul, lequel, dans la seconde lecture, nous exhortait à tirer parti du temps présent : « Frères, je dois vous le dire, le temps est limité. » Par définition le temps est une réalité qui passe ; et donc tout ce qui est dans le temps (tout le créé, et donc nous aussi les humains) passera aussi et disparaîtra : « Le monde tel que nous le voyons est en train de passer. » (cf. I Co 7, 31 ; I Jn 2, 17)

En conséquence, il ne faut pas manquer le rendez-vous. Nous n’avons qu’une seule vie humaine – et non d’autres existences possibles comme le pensent certains qui interprètent de manière très naïve les théories orientales de la réincarnation.

Il y a donc urgence car, nous avertit Jésus, “vous ne savez ni le jour ni l’heure.”. Je ne peux donc pas me dire : « Je tire profit de l’existence. Il sera toujours temps de mettre de l’ordre dans ma vie. » Non ! Il y a urgence « les temps sont accomplis. Le Règne de Dieu est tout proche. » Il est même là en Jésus – non pas comme un message angoissant, mais comme “La Bonne Nouvelle”. Il est là comme la présence de Dieu qui seule peut renouveler nos vies usées par l’habitude et la non-vigilance ; présence qui seule peut nous ouvrir à ce bonheur auquel nous aspirons tous tellement. Comme l’exprime si bien saint Augustin, notre attente à nous chrétiens ne peut se vivre sur le mode de la peur (angoisse de la mort et du jugement), mais du désir. Nous ne devons pas être comme l’épouse infidèle qui a peur que son mari revienne, mais comme l’épouse qui aspire ardemment au retour de l’époux aimé.

Déjà à la prédication de Jonas le prophète, les gens de Ninive se convertirent. Ce petit texte est une leçon magistrale qui nous dit : Voyez ! Il n’y a pas plus mécréants que les Ninivites, eux qui vivent sans foi ni morale. Et pourtant ils entendent l’appel à la conversion de Jonas et y répondent : « Ils se détournèrent de leur conduite mauvaise. » Alors, à combien plus forte raison, nous qui avons la foi et la connaissance de Dieu, devons-nous nous convertir et croire à la Bonne Nouvelle proclamée pas Jésus.

Ainsi firent les premiers disciples Simon et André, Jacques et Jean : laissant barque, filets, famille, ils partirent à la suite de Jésus : « Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. » Ils n’en sont pas restés à de belles intentions, à des coups de cœur sans lendemain, mais ils se sont engagés effectivement avec les ruptures que cela impliquait. Cette suite du Christ concerne tous les baptisés et a fortiori ceux et celles qui consacrent leur vie au Seigneur dans la vie religieuse. Il ne s’agit pas de déplacement géographique, mais, plus fondamentalement, de changement de cap, d’un itinéraire nouveau qui conduit à la vraie Source. Car nous sommes tous des pèlerins, des étrangers en quête de la demeure définitive que le Père nous a préparée. S’il y a plusieurs demeures dans la maison du Père, comme le dit Jésus, il ne peut y avoir qu’un seul Corps (l’Église) où tous les baptisés n’ont qu’une seule foi, une seule espérance, un seul Dieu et Père, un seul médiateur, Jésus Christ, un seul Esprit Saint.

En cette semaine de prière pour l’Unité du Corps du Christ, il est bon d’entendre ainsi la Parole de Dieu qui nous invite à sortir de nos ornières, de nos aveuglements et duretés de cœur, de nos critiques et de nos peurs, pour accueillir ensemble, avec nos frères et sœurs séparés, la Bonne Nouvelle de Jésus. Il y a urgence ! Nous ne pouvons remettre à plus tard cette tâche. Laissons-nous donc saisir et travailler par l’Esprit Saint qui seul peut nous ajuster à la manière de voir de Dieu et faire de nous des artisans de réconciliation et d’unité.

Je me souviens, des propos d’un théologien protestant qui affirmait avec force, et de manière paradoxale : « L’Église de Jésus Christ sera protestante ou elle ne sera pas. » Et d’expliquer que l’Église doit toujours avoir en elle une force de “protestation” (ou de contestation) par rapport aux multiples situations de péché qui trahissent le message du Christ et pervertissent son visage. Et il est vrai que dans nos Églises cette force de protestation a cruellement fait défaut (particulièrement face au scandale de nos divisions), ou bien elle s’est transformée en opposition violente et en rupture.

Et ce même théologien ajoutait tout aussitôt : « L’Église de Jésus Christ sera catholique ou elle ne sera pas. » Catholique, c’est-à-dire universelle, ouverte à toutes les races, à toutes les cultures, à toutes les générations. Chaque fois que des chrétiens se replient sur eux-mêmes, s’enferment dans leur particularisme, refusent d’accueillir ceux qui sont d’une autre tradition, l’Église perd sa note fondamentale de catholique et s’appauvrit puisqu’elle ne bénéficie plus de la richesse de ceux qui sont exclus.

J’ajouterai volontiers un troisième terme aux deux propositions du prédicateur protestant : « L’Église sera orthodoxe ou elle ne sera pas. » Là encore, orthodoxe est à entendre au sens étymologique de “fidélité à la juste doctrine”, c’est-à-dire à Jésus Christ et à son Évangile. L’Église ne peut réaliser cela que si elle s’enracine toujours plus profondément en Jésus Christ, son unique fondement ; que si elle se nourrit de sa Parole et vit de ses Sacrements.

Frères et Sœurs, si nous voulons être fidèles à Jésus Christ nous devons maintenir en nous et entre nous – et si possible avec nos frères et sœurs des autres dénominations chrétiennes – la quête patiente, persévérante, inlassable de l’Unité. Unité qui est don gratuit de Dieu, mais qui ne peut advenir sans notre prière instante et notre collaboration, c’est-à-dire sans notre volonté active de surmonter les obstacles et de mettre en œuvre ce que l’Esprit dit aux Églises.

Nous tous, baptisés en Jésus Christ et enfants d’un même Père, nous sommes en marche vers la Vérité tout entière. Vérité qui est en Dieu seul et que nul ne peut prétendre posséder.

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