Homélie pour l’Epiphanie du Seigneur 2018
Isaïe 60, 1-6 Ephésiens 3, 2-3a.5-6 Matthieu 2, 1-12 Homélie de P. Jean-Marc
« Je crois à la sainte Église catholique ». Nous connaissons bien cette expression inscrite dans la profession de foi de l’Église et que nous redisons souvent ensemble. Mais cette expression est à bien comprendre ! Car il ne s’agit pas ici – comme certains peut-être l’imaginent – de faire la distinction entre “l’Église Catholique (romaine)” et les autres confessions chrétiennes (à savoir les orthodoxes et les protestants), mais d’affirmer la catholicité de l’Église, c’est-à-dire son universalité au-delà même des clivages et oppositions que nous ne connaissons hélas que trop parmi ceux et celles qui tous se disent disciples du Christ et membres de son Corps.
Oui, l’Église a vocation à être universelle par-delà toutes les différences de race, de culture, d’origine sociale de ses membres. Et c’est bien cela que met particulièrement en lumière cette fête de l’Épiphanie.
Alors que nous aurions tendance à considérer Noël comme une fête à l’ambiance plutôt intimiste où l’on aime bien se retrouver ensemble en famille ou entre amis, l’Epiphanie vient nous bousculer, pour nous placer sur la bonne orbite et nous permettre de comprendre ce que l’on célèbre réellement à Noël.
Épiphanie ! Ce mot grec signifie “manifestation”. La naissance de Jésus à Bethléem n’est pas un événement privé réservé à un petit groupe. C’est la manifestation de Dieu au monde entier. Oui, là, en ce bébé minuscule, né d’un couple de petites gens, en un trou perdu d’un territoire quasi ignoré, Dieu se manifeste. Et pas seulement à quelques-uns (des bergers, des marginaux) mais à toute l’humanité. Voilà ce qu’est en vérité Noël : une Épiphanie.
Le contraste entre l’insignifiance de l’événement (la naissance d’un bébé) et sa portée universelle est tellement énorme que nous-mêmes, les croyants, nous avons bien du mal à en saisir toute la portée et à en accepter les conséquences. Car il y faut l’audace de la foi, d’une foi pas moins grande que celle qui reconnaît Dieu lui-même en l’enfant de Marie.
Les mages, avec leurs montures, leurs trésors, leur mystérieuse et lointaine origine, nous dépaysent. C’est exotique !… Mais lorsque ces mêmes mages quittent la crèche pour entrer dans nos vies, c’est tout autre chose ! Ils sont comme ces réfugiés et ces migrants qui arrivent chez nous. Ils bousculent et font peur parce qu’ils viennent d’ailleurs et qu’ils vont inévitablement nous déranger. C’est ainsi que le roi Hérode, voyant débarquer les mages à Jérusalem, non pas comme des touristes mais comme des chercheurs de la Vérité « fut pris d’inquiétude et tout Jérusalem avec lui. »
L’irruption des mages à Bethléem signifie qu’avec eux ce sont des populations ayant une autre culture, une autre religion, d’autres catégories mentales et spirituelles qui viennent frapper à la porte de la maison, l’Église.
Nous ne sommes pas propriétaires de l’Enfant Jésus. Il est pour tous les peuples, toutes les races, toutes les cultures. Tôt ou tard, il nous faudra donc renoncer à ce qu’il y a de trop particulariste dans nos mentalités, nos langages et nos traditions religieuses pour accueillir des croyants venus d’horizons lointains.
Ce fut le drame des juifs contemporains du Christ. On leur avait tellement inculqué la grandeur de leur vocation unique de peuple élu, de peuple détenteur de la Promesse et des Alliances (et cela reste vrai !), que dans leur grande majorité ils n’ont pu accepter de s’ouvrir au message universaliste de l’Évangile. La peur d’être submergés et de perdre leurs privilèges, les a rendu aveugles et sourds.
Ce fut également, pendant des siècles, le drame d’une chrétienté plus préoccupée à défendre ses frontières et ses richesses culturelles que de s’ouvrir à d’autres horizons, d’autres mondes. C’est encore, aujourd’hui, le drame de certains catholiques qui, au nom de la pureté et de la supériorité de leur foi, récusent tout dialogue inter-religieux, nient toute valeur aux grands mouvements religieux non chrétiens.
Si Saint Paul, ou plutôt Saul de Tarse, persécutait les disciples du Christ c’est parce qu’il était convaincu de la grandeur et du rôle unique du Judaïsme. Il devait donc tout faire pour éliminer les tenants de la doctrine nouvelle qui le mettait en péril. Mais lorsque sur le chemin de Damas Paul fut saisi par la grâce du Christ, il découvrit alors l’inimaginable, c’est-à-dire que la grâce accordée aux Juifs concernait désormais toute l’humanité : « Par révélation, Dieu m’a fait connaître le Mystère du Christ (…) Ce Mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. » (Eph 3, 2 ss – Cf. 2° lect. de ce jour)
La venue du Christ vient donc bousculer nos vies trop tranquilles pour nous introduire dans le grand courant de la mission. Noël, c’est déjà la Pentecôte. L’Enfant de lumière vient faire craquer nos étroitesses de cœur et d’esprit pour nous pousser au large, dans le grand courant de l’Amour de Dieu. Un Amour qui ne supporte aucune restriction, aucune exclusive, aucune limitation.
En devenant disciples de Jésus nous avons trouvé une lumière pour guider nos pas, un feu pour réchauffer nos cœurs, une espérance qui perce nos nuits. Mais l’Épiphanie vient nous arracher à notre cocon trop chaud, à nos joies trop individualistes pour nous projeter au grand large :
« Allez par le monde entier. Proclamez la Bonne-Nouvelle à toute la création. » (Mc 16, 15)
« Ma Maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations. » (Mc 11, 17)
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