Abbaye Notre-Dame d’Acey, 15 octobre 2017
28ème dimanche ordinaire – année A – 2017
Isaïe 25, 6-9 Philippiens 4, 12… 20 Matthieu 22, 1-14 Homélie de P. Jean-Marc
Dès les toutes premières générations chrétiennes, certains ont prétendu séparer l’Ancien et le Nouveau Testament sous prétexte que l’Évangile de Jésus-Christ n’avait rien de commun avec les Écritures juives. Ainsi opposait-t-on fortement le Dieu de l’Ancien Testament, considéré comme une divinité terrible et vengeresse, au Père plein de tendresse et de miséricorde révélé par le Christ Jésus dans le Nouveau Testament. Mais l’Église a toujours récusé une telle opposition.
Or à entendre les lectures de cette messe, on peut se demander si ce n’est pas l’inverse qui est vrai. Ainsi (dans la première lecture) le prophète Isaïe, de nombreux siècles avant le Christ, nous livrait un texte splendide présentant Dieu comme celui qui offre à tous les peuples de l’univers un merveilleux festin, qui les délivre de l’emprise de la mort et des situations de deuil, console ceux qui pleurent et efface l’humiliation de son peuple. De sorte qu’un jour on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »
Par contre, si l’on en vient à l’Évangile de ce jour, nous trouvons avec la parabole des invités au repas de noces un récit plutôt terrifiant : non seulement les invités récusent l’invitation, mais ils assassinent les messagers. Et en représailles, ils sont à leur tour massacrés et leur ville détruite. Certes, il s’agit ici d’une parabole. Mais en quoi les images qu’elle véhicule peuvent-elles s’accorder avec le Dieu dont Isaïe chante la bonté et la générosité ? Et, pour faire bonne mesure, nous avons, en finale de la parabole, la scène de l’homme qui, introduit dans la salle du festin sans trop l’avoir choisi, est jeté dehors pieds et poings liés. C’est à n’y rien comprendre !…
Si les mots et les images de cette parabole nous scandalisent, tellement ils vont à l’encontre de notre sensibilité chrétienne, sachons que notre Dieu est lui aussi scandalisé et qu’il l’est, en vérité, infiniment plus que nous. Oui, ce que ce récit tragique met en scène c’est le drame du refus de Dieu par les hommes. Un Dieu que l’humanité ne cesse de blesser et de rejeter par ses trahisons et son ingratitude, et dont la liturgie nous fait entendre, chaque Semaine Sainte, la douloureuse plainte : « O mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Réponds moi ? »
Les mots de la parabole sont très humains (peut-être trop à notre goût). Mais s’ils dérangent c’est afin de nous aider à prendre conscience de la tragédie qui se joue de génération en génération entre l’humanité et Dieu.
Le Seigneur notre Dieu nous invite à sa fête, c’est-à-dire désire nous introduire pour toujours dans la joie de son intimité. Pour cela il s’est mis en frais. Il a mis les petits plats dans les grands. Quoi de meilleur, pour les auditeurs de Jésus, que ce festin de viandes succulentes et de vin délicieux, mais, en retour, quoi de plus injurieux que ce refus des invités qui ne s’intéressent qu’à leurs petites affaires champ, leur commerce…?
Nous pouvons nous interroger sur le pourquoi d’un tel comportement. Oui, pourquoi les hommes et les femmes d’aujourd’hui (comme de tous les temps d’ailleurs) manifestent si peu d’intérêt et d’empressement à répondre à l’invitation de Dieu… alors que beaucoup seraient prêts à tout pour être reçus à la table de la reine d’Angleterre ou du pape ?
Il est vrai que l’invitation de Dieu est d’un tout autre ordre. Les réalités humaines visibles, sensibles, auront toujours plus de poids pour nous que les réalités d’en-Haut qui, par définition, nous sont radicalement étrangères. Et puis s’il faut attendre 30, 60 ou 80 ans pour pouvoir enfin déguster le festin de Dieu, c’est à y renoncer !
Mais pourquoi parler de longue attente ?… Jésus, dans son Évangile, ne veut pas faire de nous de malheureux patients en train de moisir dans une salle d’attente. Tout au contraire il ne cesse de nous affirmer que le Royaume de Dieu – qui seul pourra combler nos soifs de plénitude et de bonheur – est déjà là au milieu de nous, et qu’il n’y a pas à le chercher ailleurs que dans notre quotidien. C’est “aujourd’hui” que le Seigneur notre Dieu désire entrer en communion avec nous, selon ce qui est écrit il est écrit dans le livre de l’Apocalypse : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui. Je prendrai mon repas avec lui il lui avec moi. » Notre Dieu est communion d’amour. Son grand et unique désir c’est de, non seulement, partager le repas avec nous, mais de nous introduire au cœur de sa vie d’amour.
Pour notre Dieu, il n’y a de fête que lorsque quelqu’un répond à son invitation. Ce n’est pas moi qui invente cela. C’est Jésus lui-même qui nous l’affirme quand il nous dit qu’il y a plus de joie au Ciel pour un pécheur qui se convertit (i.e. qui se tourne vers lui) que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion, c’est-à-dire qui ne font aucun cas des invitations de Dieu.
Il me semble que nous avons ainsi une clé de lecture pour comprendre la finale de notre parabole, cet épisode si déconcertant où le convive qui ne porte pas le vêtement de noce est rejeté dans les ténèbres. Comme tous ceux que l’on est allé chercher aux croisées des chemins, il est entré sans que rien ne le prépare à un tel événement. Encore faut-il qu’il ne vive pas cela comme contraint et forcé. Dieu ne nous force jamais. Il nous respecte trop. En d’autres termes, seul celui qui consent est apte à vivre la fête. Ce consentement nous l’exprimons chaque fois que nous disons : « Père, que ta volonté soit faite ! », « Que ta volonté d’amour devienne notre fête éternelle ! » Seul celui qui habille son cœur du désir d’aimer et d’être aimé pourra goûter en retour la joie et la paix que Dieu donne sans mesure à ceux qui le lui demandent. « Fais-toi capacité. Je me ferai torrent », disait le Christ à Ste Catherine de Sienne.
Et Saint Paul qui exhortait les chrétiens à revêtir le Christ comme un vêtement de noce (cf. Gal 3, 27) nous disait, dans la seconde lecture :
« Mon Dieu comblera tous vos besoins selon sa richesse, magnifiquement dans le Christ Jésus. »
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