Paroles sur notre F. Jacques

«Le but de la vie chrétienne, c’est l’acquisition de l’Esprit Saint »
(St Séraphim de Sarov)

Evocation de la vie de Frère Jacques

Veillée de prière du jeudi 5 décembre 2024 à 19 h 30

Notre Frère Jacques est né le 30 janvier 1940 à Taxenne, village jurassien d’où était originaire sa maman Marie-Louise, née Duvernois. Mais c’est à Chaumercenne, en Haute-Saône, qu’il grandira dans une fratrie de 3 garçons, dans la ferme qu’exploite son papa Edmond Voilly. Fr Jacques sera toujours très fier de dire qu’il a grandi à l’ombre de l’Abbaye ! Durant sa scolarité, il passera 2 années, avec un de ses frères, en pension chez les Maristes à Ecole, près de Besançon. Très tôt il ira aider les frères de la ferme d’Acey, importante exploitation à l’époque, où excellait Frère Joseph qui était un peu une célébrité dans le monde agricole local. Le 6 janvier 1960 Jacques fait le pas et entre au monastère. Comme c’était courant à l’époque, les choses ne traînent pas. 10 jours plus tard, le 16 janvier, il reçoit l’habit brun d’oblat convers, sous le nom de Fr Antoine, son 3e prénom de baptême. Mais le 2 mars de la même année, notre frère doit quitter l’abbaye : il est appelé sous les drapeaux. Incorporé au Régiment d’Infanterie de Belfort, c’est dans l’Algérie alors en pleine guerre qu’il vivra ses 26 mois de service. Il opérera comme chauffeur d’ambulance. Il parlera très peu de ce qu’il a vécu pendant ces terribles années. Mais à ce poste d’ambulancier il a certainement vu des choses qu’il ne fallait pas voir. Il en reviendra choqué et changé. Et ce sujet sera toujours sensible pour lui.

De retour à la vie civile il ne reviendra pas de suite au monastère. Ce n’est que le 2 janvier 1964 qu’il réintègre la communauté. Le 16 janvier, il reprend alors l’habit d’oblat convers. Cette fois-ci il garde son premier prénom de baptême et devient « Frère Jacques ». Un nom qui sonne comme il aimait le rappeler avec humour ! Mais en juillet, il revêt l’habit blanc des choristes. En fait 6 mois plus tard, il n’y a désormais plus qu’une seule catégorie de moines avec le décret d’unification de décembre 1965. Acey connaît alors un noviciat pléthorique : 6 membres en formation. Des 6, Fr Jacques sera le seul à persévérer dans la vie monastique jusqu’à la mort. Pour autant, ses premières années ne sont pas un long fleuve tranquille. L’adaptation à notre genre de vie n’est pas toujours facile pour lui. Il lui sera demandé une prolongation de ses 2 étapes de formation, le noviciat et les vœux temporaires, pour mieux discerner sa vocation. Il sera alors très soutenu et encouragé par son maître des novices, le Père Nivard, auquel il était très attaché (quand celui-ci, devenu abbé, quittera la vie monastique, ce sera une grande épreuve pour Fr Jacques).

Accepté par la communauté, il sera admis à faire profession solennelle le 25 juillet 1971, jour de la fête de son Saint Patron.

Les premières années de sa vie monastique le voient travailler à l’atelier d’électrolyse, activité économique lancée récemment par les frères. Il travaillera sur les chaînes avec d’autres frères et des employés civils. Un de ceux-ci est sn oncle Marc. Une photo immortalise le jeune frère Jacques accrochant des pièces pour un traitement à l’attache. Il sera aussi, au côté de Fr François, au service de la maintenance. C’est sans doute là qu’il apprit la soudure, art qui lui sera très utile plus tard.

Fin des années 70, il est nommé par Dom Sébastien au secteur agricole. Où il retrouve Fr François mais également Fr Martin avec qui il collaborera en bonne entente. Soin du bétail, culture des champs avoisinants en herbe et en paille, culture de pommes de terre, aide à l’environnement, au verger pour les traitements, etc … Mécanicien et bricoleur à ses heures, cela lui sert pour l’entretien du matériel agricole, mais rend aussi service aux frères d’autres secteurs du monastère pour créer, entretenir ou réparer. Mais progressivement le domaine agricole est revu à la baisse : vente du bétail, location des champs en fermage. Le vieillissement et le décès de Fr Martin en 2007 marquent une étape.

Du secteur agricole Fr Jacques gardera jusqu’au bout la production de pommes de terre, avec une lutte pas toujours victorieuse contre taupins et doryphores. Il aura toujours à cœur de partager sa récolte, entre autres avec nos sœurs du carmel de St Maur. Du cheptel de la ferme lui restera le soin du « pensionnaire du bas » comme il appelait le cochon, qui tous les 6 mois, connaît sous sa direction un sort tragique, le jour de la St Cochon, comme on dit dans le Haut-Doubs. Sans oublier les chats auxquels il offre quotidiennement un service de restauration consistant, vers midi. Les félins heureux bénéficiaires savent attendre notre frère, à la même heure, devant la grange.

Suite à la maladie de P. Michel lui sera confié le soin des courses. Tous les jeudis après-midi, il se rend à Dole pour achats divers et dépôt des draps de l’hôtellerie à la blanchisserie.

Son ouverture au monde se fait aussi par sa participation active à la commission de solidarité de notre communauté.

De la vie monastique, il a peu intégré la valeur du silence. Bavard impénitent, frère Jacques était un homme expansif. Il n’hésitait pas à témoigner de ses convictions spirituelles, de son attachement à la personne du Christ. Bien que doté d’une voix peu avantageuse, il aimait le chant de l’office divin et avait un bon sens du rythme. Il était bon public pour les prédicateurs et conférenciers : il se montrait très à l’écoute des homélies, des chapitres, des conférences, réagissant volontiers et donnant son avis sur les points évoqués. S’il était avant tout un travailleur manuel, il savait prendre aussi le temps de la lecture. En témoignent, dans le bureau de sa cellule, des cahiers de notes de lecture et de nombreuses photocopies de textes qui lui parlaient, trouvés dans des revues.

De caractère volcanique, il fallait certains jours tact et diplomatie pour l’aborder. Ses coups de sang, aussi spectaculaires qu’imprévus, plombaient parfois les réunions communautaires. Mais il passait tout de suite à autre chose ne se rendant pas forcément compte de l’impact de ses sorties. Il était un membre actif et très participatif de la vie communautaire. L’avenir de notre communauté, et de la vie monastique en générale, lui causait souci. Il ne comprenait pas pourquoi des jeunes ne venaient pas nous rejoindre pour mener au monastère une vie dans laquelle il s’était épanoui.

Mais comme il le répétait souvent, il croyait fort en la présence et en l’action de l’Esprit Saint au sein de nos communautés chrétiennes, au cœur de l’Eglise universelle. C’est Dieu qui mène toute chose à son accomplissement.

A part un petit rhume de temps en temps Fr Jacques n’était jamais malade. Aussi était-ce mauvais signe qu’il ait dû s’arrêter il y a 3 semaines et garder la chambre. Mais il a fait contre mauvaise fortune bon cœur, étant reconnaissant des visites que ses frères lui rendaient. Malgré plusieurs visites chez le médecin, et un traitement qu’il eut bien du mal à suivre, sa santé ne s’améliorant pas, il avait émis le souhait d’être hospitalisé. Après une dernière visite du médecin c’est pendant son transfert à l’hôpital que la mort est venue à sa rencontre. La mort ou plutôt la Vie puisque, parvenu au terme de son pèlerinage sur cette terre, qu’il avait travaillée, cultivée, ensemencée, c’est le Maître de la Moisson, le Seigneur des vivants qui lui aura murmuré à l’oreille : « Fidèle serviteur entre dans la joie de ton Seigneur. »

Homélie Eucharistique sur Frère Jacques

                                                        

Eucharistie du Vendredi 6 décembre 2024

Samedi dernier nous entrions dans le Temps de l’Avent, ce temps liturgique cher à nos pères cisterciens. Les jours précédents, les textes bibliques de la messe nous appelaient déjà à la vigilance : « veillez, car vous ne savez ni le jour, ni l’heure où le Fils de l’homme viendra ». Nous ne savons pas comment cet appel a retenti dans le cœur de notre Fr Jacques, lui qui avait l’oreille si attentive à la proclamation de la Parole de Dieu, et alors qu’il était déjà malade. Mais pour nous qui vivons son brusque départ nous sommes remis devant notre destinée humaine, devant notre fragilité et notre finitude. Car si la mort de Fr Jacques nous frappe, au-delà de la réaction sensible bien compréhensible, n’est-ce pas parce qu’elle nous renvoie à nos propres chemins ? « On n’est pas grand-chose » dit-on assez spontanément lorsque nous apprenons le décès subit de tel ou tel. « On n’est pas grand-chose ». Et pourtant tout notre être, désireux de vie et d’infini, se rebiffe devant une telle affirmation. A juste titre. Car si l’on s’en tenait au constat de l’inconsistance de toute vie humaine face à la mort il y aurait de quoi désespérer. Et de quoi vivre dans la peur permanente d’un couperet prêt à tomber sur nos têtes à tout moment. Or ce n’est pas ce que Dieu veut pour nous. Ce n’est pas ce que Jésus veut lorsqu’il nous invite à la vigilance. Qui est une veille d’amour et non de peur. C’est parce qu’il donne tout leur poids à nos vies humaines que le Christ, qui a vaincu la mort, nous presse de garder un cœur qui veille. Un cœur qui garde attention, un cœur qui encore et toujours se met sur un chemin de conversion.

En choisissant la voie monastique Frère Jacques s’est engagé sur ce chemin de conversion. Qui est l’œuvre de toute une vie. Il aimait à répéter cette exhortation reçue d’un prédicateur dominicain : « Mes frères il faut durer ». De la persévérance il lui en a fallu, pour mener 60 ans de vie monastique à Acey. Comme à chacun de nous, dans un combat quotidien pour la fidélité aux exigences de l’amour. Car l’amour est exigeant. La vie spirituelle n’est pas un long fleuve tranquille : elle exige de celui qui veut la mener sérieusement un effort constant pour se garder face au visage de Dieu qui bien souvent se voile à nos regards. Le monastère n’est pas le royaume des bisounours. La vie commune est notre joie et notre croix. Elle décape, confronte et affronte parfois des tempéraments différents qui doivent composer sans cesse pour s’ajuster les uns aux autres dans un renoncement permanent à sa volonté propre, sans lequel une telle vie commune ne serait pas possible. On pourra penser, et certains le pensent, qu’il faut une bonne dose d’héroïsme pour vivre cette vie. C’est faire fausse route. Car ce qu’il faut ce n’est pas être un héros mais un pauvre. Ne peut persévérer dans notre vie que celui qui prend conscience et accepte sa radicale pauvreté, son besoin d’être sauvé. Une chose est de le savoir, une autre est de le vivre. Dieu seul scrute les reins et les cœurs. Lui seul sait si notre Fr Jacques était parvenu à cette pauvreté du cœur qui s’offre en réceptacle de son amour inconditionnel. Mais une rencontre que j’ai eue avec lui récemment me fait penser que oui. C’était au tout début de sa courte maladie. J’étais allé le voir dans sa chambre. Le dimanche d’avant j’avais conclu une homélie avec une prière de Marie Noël, la poétesse d’Auxerre. Fr Jacques m’a alors dit : « Tu sais quand tu as lu la prière de Marie Noël j’ai pleuré ». Et de reprendre quelques mots de cette prière avec la voix nouée et les yeux embués. Je dois dire que c’est la première fois, en 33 ans de vie avec lui, que je voyais notre frère manifester une telle émotion qui m’a bouleversé. Alors pour conclure et pour lui rendre hommage je voudrais redire les mots de cette prière de pauvre. Qui pourrait très bien être le dialogue qui s’est tenu entre Fr Jacques et le P. des Miséricordes au seuil du Paradis :

– Vous voilà, mon Dieu. Vous me cherchiez ? Que me voulez-Vous ? Je n’ai rien à Vous donner. Depuis notre dernière rencontre, je n’ai rien mis de côté pour Vous.
            Rien… pas une bonne action. J’étais trop lasse.
            Rien… pas une bonne parole. J’étais trop triste.
Rien que le dégoût de vivre, l’ennui, la stérilité…
 – Donne !
– La hâte, chaque jour, de voir la journée finie, sans servir à rien; le désir de repos loin du devoir et des œuvres, le détachement du bien à faire, le dégoût de Vous…  Ô mon Dieu !
– Donne !
– La torpeur de l’âme, le remords de ma mollesse et la mollesse plus forte que le remords …
– Donne !
– Le besoin d’être heureuse, la tendresse qui brise, la douleur d’être moi sans secours …
– Donne !
– Des troubles, des épouvantes, des doutes …
– Donne !
– Seigneur ! Voilà que, comme un chiffonnier, Vous allez ramassant des déchets, des immondices. Qu’en voulez-Vous faire, Seigneur ?
Le Royaume des Cieux.


Publié le

dans