Première lecture : Dt 6, 2-6 Deuxième lecture : He 7, 23-28 Évangile : Mc 12, 28b-34
31e dim. du Temps Ordinaire – Mc 12,28b-34
A.C. 2024
« La rencontre s’est déroulée dans une atmosphère cordiale« . On serait tenté d’utiliser cette formule pour rendre compte de l’événement qui nous est rapporté dans cet Évangile. Car une rencontre paisible et constructive entre Jésus et un scribe est un événement suffisamment rare pour être noté, habitués que nous sommes à des relations très tendues entre le Seigneur et les scribes et les pharisiens. C’est dire qu’il nous faut prêter attention à cet échange car il mène sur un sommet de la foi juive mais aussi chrétienne : le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain, double facette d’un unique joyau. En se mettant sur la même longueur d’onde que Jésus, le scribe a manifesté sa parfaite intelligence du cœur de la Révélation. Pour autant, le satisfecit que lui accorde Jésus n’est pas total : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu« . Le scribe reste à la porte du Royaume, il a un espace à franchir encore pour y entrer. Que lui manque-t-il ? D’abord passer à l’acte. « Il ne suffit pas de me dire « Seigneur, Seigneur ! » pour entrer dans le royaume des cieux mais il faut faire la volonté de mon Père qui est au cieux« . Les belles pensées, les raisonnements les plus justes ne servent à rien s’ils ne nous conduisent pas à agir en conséquence. Et nous ne savons que trop combien nous peinons à ajuster nos paroles et nos actes pour obtenir une cohérence de vie sans laquelle nous risquons de nous voir appliquer le reproche que Jésus fait aux pharisiens : « ils disent mais ne font pas« .
Mais plus profondément encore, il manque au scribe, fin connaisseur de la Loi, d’accéder à la Loi nouvelle révélée par Jésus : « Je vous donne un commandement nouveau : comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres« . « Comme je vous ai aimé » : c’est en cela que réside la nouveauté de ce commandement. Dans ce « comme » s’ouvre pour nous des horizons infinis que rien ne vient borner, puisqu’il nous fait entrer dans la mesure sans mesure de l’amour du Christ, de l’amour de Dieu même. Mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas là un appel à la démesure. Dans l’amour, comme en tout, la démesure engendre l’orgueil. Un seul, le Christ, a aimé Dieu et le prochain de la manière la plus parfaite, en faisant de sa vie et de sa mort un acte d’amour sans réserve. A nous il est demandé d’aimer certes « de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toute notre force« , mais avec un cœur, une âme, un esprit, une force à vrai dire faibles et de pauvres limites. Non que nous ne soyons capables du plus grand amour. La cohorte des saints que nous avons fêtés vendredi, fourmille d’exemples de vie qui s’épanouissent dans le don de soi. Pour autant cela ne doit pas nous faire oublier le combat qui souvent se cache derrière cela. Car nous le savons par expérience : les obligations les plus légères en apparence sont en pratique les plus pénibles. On est capable de franchir une montagne, mais on butte sur un caillou. Pensons à nos frères de Thibirine : ils ont vécu l’heure du plus grand amour en offrant leur vie, pour Dieu et pour l’Algérie, offrande qui s’est exprimée dans le martyr qu’ils ont vécu. Leurs écrits, le témoignage des personnes qui les ont fréquentés, révèlent pourtant que leur vie quotidienne était émaillée de ces cailloux qui font chuter : incompréhension, désaccord, incompatibilité de caractères, replis sur soi, réaction disons un peu vives, etc… Tout cela n’est pas contradictoire. C’est au contraire d’une parfaite cohérence. C’est parce qu’ils avaient auparavant mené le combat de l’amour au quotidien, parce qu’ils s’étaient relevé jours après jour, après avoir butté sur les cailloux des exigences de la vie commune vécue pendant des années, qu’ils ont pu arriver à ce sommet de leur vie qu’a été la décision de rester à Thibirine ensemble, quoi qu’il advienne, même au prix de leur vie. « Ma grâce te suffit, car ma puissance se déploie dans la faiblesse« . A une condition : se détacher de cette faiblesse même, accepter de ne plus avoir prise sur elle, en l’offrant à Celui qui seul est capable de la retourner à notre profit. « Tout concourt au bien de celui qui aime Dieu« . Même notre incapacité d’aimer, si elle est reconnue et si nous acceptons nos défaites pour laisser toute la place à Celui qui viendra faire en nous ce que nous sommes incapables de faire, qui viendra aimer en nous. Ce qu’exprime avec bonheur une prière rédigée par Marie-Noël, la muse d’Auxerre, avec laquelle je terminerai cette méditation. Prière qu’elle a intitulée avec justesse : « Communion » :
Vous voilà, mon Dieu. Vous me cherchiez ?
Que me voulez-‐vous ? Je n’ai rien à vous donner.
Depuis notre dernière rencontre, je n’ai rien mis de côté pour vous.
Rien… pas une bonne action. J’étais trop lasse.
Rien… pas une bonne parole. J’étais trop triste.
Rien que le dégoût de vivre, l’ennui, la stérilité.
-‐ Donne !
-‐ La hâte, chaque jour, de voir la journée finie, sans servir à rien.
Le désir de repos loin du devoir et des oeuvres,
le détachement du bien à faire,
le dégoût de Vous, ô mon Dieu !
-‐ Donne !
-‐ La torpeur de l’âme, le remords de ma molesse
et la molesse plus forte que le remords…
-‐ Donne !
-‐ Le besoin d’être heureuse, la tendresse qui brise,
la douleur d’être moi sans secours…
-‐ Donne !
-‐ Des troubles, des épouvantes, des doutes…
-‐ Donne !
-‐ Seigneur ! Voilà que, comme un chiffonier,
Vous allez ramassant des déchets, des immondices.
Qu’en voulez-‐vous faire, Seigneur ?
-‐ Le Royaume des Cieux.