Première lecture : Is 35, 4-7a Deuxième lecture : Jc 2, 1-5 Évangile : Mc 7, 31-37
- Isaïe 35, 4-7a Jacques 2, 1-5 Marc 7, 31-37
Homélie du 23e dimanche ordinaire B 2024 par P. Jean-Marc
Abbaye d’Acey, le 8 septembre 2024
Curieux miracle !… Ne trouvez-vous pas ?
Jusqu’ici, il suffisait pour Jésus d’un mot, d’un geste pour chasser les démons, guérir les malades, rendre la vue aux aveugles, faire marcher les paralysés, purifier les lépreux, apaiser la tempête, arracher à la mort. Et nous voilà, avec ce récit de la guérison d’un sourd, témoins d’un long et étonnant processus. Comme si Jésus avait des problèmes pour parvenir au résultat escompté : il emmène l’homme à l’écart, lui met les doigts dans les oreilles, touche sa langue avec sa propre salive... Puis, les yeux levés au ciel, soupire et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! »
En réalité, l’évangéliste saint Marc avec ce récit (comme, au chapitre suivant, avec la guérison progressive d’un aveugle) nous place sur un tout autre registre. Il nous montre Jésus non pas comme un thaumaturge qui possède la puissance de faire des miracles, mais comme Celui qui réalise une œuvre de création… ou plus exactement une œuvre de re-création.
En effet, avec cette scène de la guérison d’un sourd, il est difficile de ne pas penser au récit de la création dans le livre de la Genèse, où Dieu crée Adam à la manière d’un potier : « Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7)
C’est bien cela que Jésus est venu accomplir en devenant l’un de nous. Oui, il est venu au cœur de notre humanité souffrante, malade de ses égoïsmes et de ses complicités avec le mal sous toutes ses formes, pour l’arracher à la surdité qui la rend incapable d’entendre la Parole de Dieu et de s’y conformer. Pour la guérir aussi de sa cécité qui ne lui permet pas de reconnaître la présence et l’action de Dieu dans notre monde, et d’y collaborer.
Ainsi, ce sourd, qui a de plus du mal à parler, c’est chacun de nous. Et la guérison que Jésus veut réaliser en notre faveur, en tenant compte de nos capacités et en respectant notre liberté, nécessite un long et délicat processus qui, en fait, va demander une vie entière.
« Pour faire un homme, mon Dieu que c’est long ! » chantait Hugues Aufray. Certes ! Et nous le savons tous par expérience ! Mais pour faire de nous, en vérité, des fils et des filles du Père, des frères et des sœurs de Jésus-Christ, animés par son Esprit de sainteté… c’est encore plus long ! Ou, plutôt, il serait plus juste de dire, car il ne faut surtout pas opposer notre vocation humaine et notre vocation divine, c’est en devenant progressivement des hommes et des femmes, libérés de tout ce qui nous aliène et entrave notre pleine maturité humaine que nous parviendrons à la liberté des Fils de Dieu.
Pour chacun d’entre nous, ce processus de re-création ou, si vous préférez, de sanctification (« Devenez saints, comme Moi, je suis Saint. » dit le Seigneur notre Dieu.) ne se fait pas comme par magie, mais demande notre collaboration active, aimante, au long de notre existence terrestre.
J’aime beaucoup l’intuition très moderne de St Irénée de Lyon, ce grand théologéien des premiers temps de l’ère chrétienne, qui développe l’idée de création progressive qui nécessite de notre part collaboration et confiance :
« O homme, puisque tu es l’œuvre de Dieu, supporte la main de ton Artisan. Il fera tout comme il convient. Offre‑lui un cœur souple et docile, conserve l’empreinte que te donne l’Artisan, aie en toi quelque chose de malléable pour ne pas perdre par ta dureté la trace de ses doigts… En gardant le modelé, tu monteras vers la perfection ( … ) Si tu livres ce que tu as en propre, c’est‑à‑dire ta confiance et ton obéissance, tu recevras l’impression de son art et tu seras l’œuvre parfaite de Dieu. » (Adversus Haereses IV 39, 2)
Nous avons été baptisés, nous célébrons les sacrements, nous participons à l’eucharistie. Très bien !… Mais ces actes et démarches n’ont d’autre but que de nous permettre d’entrer progressivement dans une relation vivante, personnelle, avec Jésus le Seigneur, de nous ajuster à Lui afin qu’il nous délivre de notre mutisme et de notre surdité.
Encore une fois, le sourd-muet, c’est moi, c’est chacun de nous ! Reconnaissons que si nous avons du mal à prier, nous en avons encore plus à aimer les autres en vérité sans laisser notre subjectivité, nos a-priori prendre le dessus. Rappelez-vous la mise en garde sévère de saint Jacques dans la seconde lecture : « Mes frères, dans votre foi en Jésus Christ, notre Seigneur de gloire, n’ayez aucune partialité envers les personnes… »
Il faut un brin de folie (et même bien davantage) pour faire confiance au Seigneur envers et contre tout alors que, non seulement les événements du monde et les épreuves personnelles ne cessent de nous déstabiliser, mais encore que notre société véhicule un discours en radicale opposition avec notre espérance.
Chaque fois que nous lisons et que nous méditons l’Évangile il nous faut donc prier l’Esprit-Saint afin qu’il ouvre l’oreille de notre cœur pour nous mettre réellement à l’écoute du Seigneur (« Parle, Seigneur, ton serviteur écoute. » disait le petit Samuel), et qu’il délie notre langue afin de célébrer sa miséricorde et le confesser comme “notre Chemin, notre Vérité, notre Vie.”
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