Abbaye Notre-Dame d’Acey, dimanche 10 juin 2018
10ème dimanche ordinaire – année B – 2018
Genèse 3, 9-15 II Corinthiens 4, 13 à 5, 1 Marc 3, 20-35 Homélie de P. Jean-Marc
Il est intéressant de noter que l’épisode que nous venons d’entendre, au chapitre 3 de l’Évangile de Saint Marc, se situe au tout début de la mission publique de Jésus, donc en une période où, par ses nombreux miracles et son enseignement il suscite l’admiration et l’engouement des foules. Mais, malgré ses « succès », Jésus provoque aussi de fortes réactions négatives à son encontre :
– Sa famille le croit fou : « Il a perdu la tête. », car les foules l’assiègent.
– Les responsables religieux de Jérusalem le traitent de possédé, car Jésus dérange. Par la liberté de sa parole et de ses actes il bouscule l’ordre établi, conteste les conventions et les représentations religieuses. Alors, comme il en va toujours pour quiconque met en cause l’ordre (ou plutôt le désordre établi), on fera tout pour le faire taire. Comme le dit le proverbe : « Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage. »
Dans ce contexte de polémiques et d’outrances où les adversaires de Jésus vont jusqu’à l’accuser de faire le jeu de Satan, Jésus est contraint de réagir. Il ne peut se taire devant la gravité des accusations formulées à son encontre.
Jésus commence par une affirmation majeure à ne jamais oublier : « Tout sera pardonné aux hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. » Bonne nouvelle, mais qui est immédiatement suivie d’une terrible mise en garde : « Si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. » Et l’évangéliste Marc ajoute alors pour bien préciser de quoi il s’agit : Jésus parla ainsi parce qu’il ils avaient dit : « Il est possédé par un esprit impur. »
Ce qui signifie que, si la miséricorde de Dieu est sans limite et qu’il pardonnera tous les péchés et les crimes que commettent les hommes, il est cependant une faute que Dieu est dans l’impossibilité de pardonner (oui, l’impossibilité !). Ce que Jésus appelle : « le blasphème contre l’Esprit Saint. »
De quoi s’agit il ?… Ici, nous ne sommes pas sur le registre de la gravité des fautes (avec, par exemple, la distinction classique entre péchés véniels et péchés mortels), mais sur celui de la VÉRITÉ. Nous pouvons avoir la certitude que la miséricorde de Dieu et son pardon sont offerts à tout être humain – quel qu’il soit et quels que soient les crimes qu’il aurait pu commettre – à condition qu’il reconnaisse ses actes et sa responsabilité, et qu’il ait le désir sincère de faire réparation (dans la mesure où c’est encore possible). Par contre la miséricorde de Dieu et son pardon ne peuvent atteindre la personne qui demeure enfermée dans le déni et le mensonge. Et c’est bien cela qui guette les adversaires de Jésus puisqu’ils l’accusent, lui le Saint de Dieu, de n’être qu’un suppôt de Satan.
Voilà le drame que l’on retrouve à toutes les époques et encore aujourd’hui lorsqu’on falsifie et on pervertit la vérité. Il suffit de penser aux négationnistes qui, contre toutes les évidences, falsifient l’histoire pour la faire servir à leurs idéologies, ou bien aux mensonges dont tant de politiques, à tort ou à raison, sont accusés, et aux « fausses nouvelles » qui sont devenues la plaie des réseaux sociaux : « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ! »
La volonté de Dieu, c’est donc que nous agissions dans la vérité puisque Lui-même est la Vérité, et qu’il ne peut y avoir de justice et de paix (donc d’amour) sans vérité.
Frère Christophe de Tibhirine dans, son journal spirituel avait écrit sous forme de prière : « Ma Vie offre-t-elle prise à ton souffle épris de toi qui viens ? »
C’est bien cela qui importe pour chacun d’entre nous. Ma vie offre-t-elle prise au souffle de l’Esprit Saint ? Ici, deux tests peuvent nous permettre de le vérifier : accepter d’être remis en cause, et reconnaître la responsabilité de ses propres actes. Ce que le couple de nos premiers parents (mis en scène dans la première lecture du livre de la Genèse) n’a pas su vivre puisque, après avoir désobéi à l’ordre explicite de Dieu, Adam et Eve cherchent à se disculper en accusant l’autre : l’homme : « la femme que tu m’as donné, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre et j’en ai mangé. » Et la femme : « le serpent m’a trompée et j’ai mangé. »
Scénario des plus classiques que nous reprenons si facilement à notre compte ! Mais il ne peut y avoir de vérité, donc de relations authentiques avec Dieu et les autres, tant que nous en restons à une attitude d’accusation et de refus de pardonner. Nous sommes tellement lucides sur le comportement des autres est tellement aveugle sur nous-mêmes !… Encore une fois, en agissant ainsi nous jugeons les autres et nous nous condamnons nous mêmes.
La grande mystique anglaise du 14ème siècle, Julienne de Norwich, a placé au cœur de ses révélations cette affirmation extraordinaire : « Le péché est inévitable, mais tout finira bien. Tout finira bien, Toute chose, quelle qu’elle soit, finira bien. »
Voilà bien le cœur même de l’espérance chrétienne qui s’appuie sur cette certitude que c’est Dieu-Amour (plus Mère que Père, dit Julienne) qui mène l’histoire et nos existences humaines, et qui fait tout concourir à notre bien, même les épreuves, même nos péchés. Nous sommes là au cœur du « mystère de la foi »… qui ne relève pas de nos logiques humaines. Mais si notre Dieu peut, à partir de rien, créer des univers et rétablir dans leur intégrité ce qui a été faussé par la faute des hommes, il est par contre impuissant à changer le mensonge en vérité.
« Ma Vie offre-t-elle prise à ton souffle ? » s’interrogeait Frère Christophe. Question fondamentale, essentielle que chacun de nous, encore une fois, doit se poser. Car c’est en cherchant à vivre de plus en plus dans la vérité de l’amour, la Vérité qu’est Jésus Christ lui-même, que nous pourrons devenir non seulement ses disciples mais, comme il le dit lui-même sa mère, ses frères et ses sœurs : « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »
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